Chapitre 38 (1/3)

1.3K 147 11
                                    

« L’amour fou, c’est celui qui vous dépossède de vous-même
tout en vous faisant croire que lui seul peut vous combler. »

Françoise Hardy

– Pia, je rentre.

– Élia, non ! s’agaça-t-elle.

Cinq minutes de lutte contre un manager borné au possible pouvaient pulvériser un sang-froid. Le problème était le suivant : ils étaient campés dans leurs positions, munis d’arguments plus ou moins valables. Le combat se poursuivit à bâtons rompus.

– Tout va très bien, reste à Londres.

– Non, tout ne va pas bien ! Tu as dû tomber sur la tête, ma parole ! Tu te rends compte de ce que tu me dis ? Dani Corleone, un mafieux ! Tu ne peux pas le… le fréquenter, l’embrasser ou tout ce que tu veux !

Il était enragé ; elle était farouche.

– Ça suffit, Élia ! Je t’interdis de revenir, tu m’entends ?

En Pia, il y avait ce timbre ferme du général qui conduit ses troupes à la morgue.
Élia en demeura muet de stupeur. Il découvrait une autre jeune femme. Métamorphosée pour le meilleur et pour le pire.

– Du moins… pas pour le moment ; tenta-t-elle de se rattraper, honteuse de lui parler de la sorte alors qu’il se faisait du souci.

Mais le mal était fait, elle avait blessé Élia. Inédit.

– Que se passe-t-il là-bas ?

Et il était loin, si loin. Perdu à des années-lumière d’elle. Il y avait dans la voix de son ami, ce trémolo fébrile et incertain. Il semblait parler à une étrangère, Pia en eut le cœur gros.

– Je ne sais pas, Élia.

Et c’était la pure vérité, l’œil du cyclone dans lequel elle était entraînée tournait si vite qu’elle en était emportée, sans contrôle.

– Écoute, je… je veux juste que tu restes en sécurité.

– Et toi tu fais bouclier ?

Élia empruntait cette voix dans ses moments de colère. Souvent, lorsqu’on prenait Pia de haut, elle resurgissait. Et la musicienne se l’imaginait mâchoires serrées et poings crispés.

Elle passa outre son propos, de peur de dire quelque chose en mesure de lui déplaire et de hâter son retour au pays.

– Quant à Dani… ne me condamne pas, je t’en prie. Je ne saurais t’expliquer ce que je ressens, mais… Je suis bien avec lui ! Je ne devrais pas, j’en ai conscience. Il a sur le dos plus de cadavres que je n’ai d’applaudissements !

Elle se tut, horrifiée des propos qui franchissaient sa bouche.

– Ça n’a aucun foutu sens.

– C’est un manipulateur, Pia. Voilà tout ! Ne te fais pas avoir, par pitié !

Chaque mot fut un pic au cœur. Le pauvre organe subissait une acupuncture des plus douloureuse.

– Tu oublies qu’on ne peut pas me duper. Je ressens sa nature, elle n’est pas mauvaise. C’est… inexplicable.

Il y eut un silence pendant lequel son ami chercha des arguments. Lasse de combattre, d’être rabrouée pour ce qu’elle éprouvait et de se faire enterrer dans le caveau de la culpabilité, elle conclut, tel le coup de marteau du juge qui prononce le verdict.

– Je suis amoureuse. Ça n’a pas de logique, aimer à en crever.

Que peut-on rétorquer à la vérité ? Quand elle est aiguisée et éclatante, on contemple son reflet en espérant qu’elle ne nous tranchera pas.

– Et où va-t-elle aller cette histoire ? Ça ne peut pas bien finir. Je n’ai pas envie que… il interrompît son propos, effrayé.

Pia y avait réfléchi. Enfin non, elle avait décidé de ne pas y réfléchir. Parce que demain était plus incertain qu’hier, elle se focalisait sur les moments joyeux. Ils sont déjà si rares !

– Je n’en sais rien. Et je m’en fiche. Je ne veux pas y penser, Élia. N’était-ce pas toi qui me disais de profiter ? C’est ce que je fais. Ensuite, il sera toujours temps de ramasser les pots cassés et d’acheter des mouchoirs.

– Pia…

– Non, je t’en prie, arrêtons-nous là ; trancha-t-elle. Ces petits moments de bonheur, aussi fous soient-ils, me permettent de garder la tête hors de l’eau. Ne les brise pas.

Elle le connaissait suffisamment bien pour savoir que l’envie de répondre lui brûlait les lèvres. Il ne faisait pas partie des êtres capables de se restreindre au silence.

– Je vais te laisser, Élia.

– Oui…

– Je te rappelle bientôt, souffla-t-elle pour finir sur une note moins sombre. Je t’aime, Élia.

Elle ne raccrocha pas avant d’avoir entendu « idem ». Tacitement, avec l’éloignement, cette règle s’était établie. On ne se le dit jamais assez.

Seul dans sa chambre, un démon s’empara de ses doigts. Il fallait l’exorciser, lui, et tout ce que cette « discussion » avait remué de détresse. Pour ça, Pia avait le meilleur des remèdes. Elle rejoint sa canne et la sortie.
Retrouver le chemin du piano fut aisé. Installée derrière la bête à corde ; un silence d’une solennité quasi religieuse se forma. Elle leva le battant, caressa les touches, concentrée sur son souffle. Que voulait-elle exprimer ? Qu’avait-elle à dire ?

Beaucoup de sentiments méritaient qu’on y prêtât attention. Tout d’abord, il y avait Doute. Lui, c’était un impétueux garnement. Parfois, il la maintenait éveillée, d’autres fois, il l’assourdissait. Il y avait aussi son compère : Peur ! Un drôle de petit couple indissociable.

Plus discrète, Colère : malheureuse puissance passée de dominante à soumise à mesure que le fulgurant Amour grandissait. Oh oui, Colère gisait aux oubliettes, crasseuse et quasi ensevelie ! Amour, quant à lui, trônait en tout, vêtu de son apparat le plus étincelant. Quel roi que cet Amour ! Il régissait les autres sentiments, les avivait ou les faisait taire. Despote tyrannique, il menait Pia par le bout du nez.

Les doigts s’élancèrent et la mélodie fut fracassante, mélange d’exaltation et de tribulations. Des opposés qui se rassemblèrent, en symbiose. C’était une symphonie dérangeante parce qu’elle évoquait le délit d’amour. Cette passion qui nous pousse à renier notre nature, à changer pour l’autre, à tolérer l’odieux.

– Puis-je me joindre à toi ?

_____________________________________________

Voilà pour aujourd'hui ! J'espère que ça vous a plu ! Je sais certains d'entre-vous vont trouver ça trop court mais ne râlez pas tout de suite : je publierai demain en plus de mercredi.

Voilà pour aujourd'hui ! J'espère que ça vous a plu ! Je sais certains d'entre-vous vont trouver ça trop court mais ne râlez pas tout de suite : je publierai demain en plus de mercredi

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

À demain !
Adriana Dreux ♡

𝐀𝐕𝐄𝐔𝐆𝐋𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant