Chapitre 40 (2/2)

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Deux ans... Deux ans qu'elle ne s'était point allongée entre les draps de l'orphelinat. De son corps partiellement dévoilé - elle n'avait conservé que ses sous-vêtements -, elle éprouvait la rudesse des couvertures. D'une laine épaisse et passée, elle la grattaient. Pourtant, aussi fou que cela puisse paraître, elle les préférait à la soie qui habillait son lit. Les bouts de tissu décrépits avaient une saveur d'enfance et cette odeur de lavande si particulière et inoubliable.

Apparemment, certaines expériences nous ramènent sans cesse en arrière. Ce n'était pas faux. Tant de choses rappelaient à Pia ses jours heureux d'insouciance. L'inratable épisode des Winx au retour de l'école, avec un goûter atrocement sucré. Les exhalaisons de la pâte à pizza chaude, celle qui provenait du restaurant du coin de la rue où elle vivait avec ses parents. Le velouté de ses cheveux, si semblable à celui de sa propre mère, jadis. L'acidité du poisson aspergé de citron, lequel ne manquait pas de la faire grimacer. La magie des histoires que son père lui racontait avant d'aller dormir, tradition que Pia perpétuait en inventant des récits abracadabrants pour les enfants de l'orphelinat. Des sensations qui échauffaient des souvenirs aigres-doux.

Et l'on change de position, encore ! Ce soir, le sommeil était un précepte abstrait, insaisissable. Elle avait compté les moutons, tenté un tas d'exercices de respiration... rien n'y faisait ! Le surplus d'émotion ? Sûrement. La journée avait été fantastique.
Enfin, elle avait oublié la Cosa Nostra, et tout ce qui lui était affilié. Enfin, elle avait vu le soleil. Enfin, elle était satisfaite. Si parfaitement contenté qu'elle refusait de faire ses adieux à cette bulle hors du temps. Elle ne voulait pas dormir. Pas encore. Juste un peu plus.

Peut-être l'avait-on entendu : la porte s'entrebâilla.

Saisie d'effroi, elle se redressa net.

- Qui est-ce ?

- Le grand méchant loup.

Elle frémit sous la lascivité de l'intonation.

- Très drôle...

- Oh, mais je ne plaisante pas. Si tu ne te couvres pas davantage, la bête pourrait bien mordre.

« La bête »... Quel mégalo ! Elle envisageait l'attaque lorsqu'un courant d'air lui indiqua la légèreté de sa tenue.

Soutien-gorge et petite culotte. Cerise sur le gâteau : elle n'était même pas certaine qu'ils soient accordés ou élégants. Mais n'était-ce pas là le cadet de ses soucis ?

Comme par magie, le drap fut remonté jusqu'au menton.

- Je... euh... bredouilla-t-elle. Pourrais-tu me donner mon tee-shirt, s'il te plaît ? Il doit être par-là ; conclut-elle en pointant vaguement un côté de la pièce.

- Me prends-tu pour un idiot ?

Décontenancée, elle fronça les sourcils. En cette situation, badiner était plus complexe qu'il n'y paraissait.

- Non, pourquoi ?

- Il faudrait l'être pour accéder à ta demande.

Sidérée, elle ouvrait la bouche pour mieux la refermer, semblable à un poisson.

- Tu ne comptes pas m'aider ?

- Pas le moins du monde.

Rose de honte - ou d'indignation -, il avait de la chance que ses mains soient prises : elle était d'humeur à saisir tout ce qu'elle trouverait sur son passage pour le lui jeter au visage.

- Mufle.

- Merci.

- Rustre.

- C'est trop.

- Goujat.

- Tu me flattes, Pia.

Plus il y allait de ses commentaires légers, plus elle fulminait. Ce n'est pas Dieu possible d'être si agaçant !

- Que veux-tu ?

- Que tu baisses le volume, tout d'abord.

Une gifle lui vaudrait-elle un billet première classe pour l'enfer ? Une toute petite de rien du tout.

- Ensuite...

Le lit s'affaissa, il lui offrait la chance de laisser libre cours à sa colère. Pia n'en fit rien. Tout ça, c'est du flan. J'en suis folle.

- Ensuite ? murmura-t-elle, incapable d'attendre qu'il se décide à ouvrir la bouche.

- La suite dépend de toi.

Elle tremblait tandis que lui avait l'assurance d'un homme en mesure de déplacer une montagne. Confuse de son inexpérience, la couverture devint son alliée, la dissimulant.

- Que fais-tu là, Dani ?

Maria les avait tous dispatchés dans des chambres distinctes. Enfin, surtout Pia. Ils étaient dans la maison de Dieu, celle des enfants et des religieuses. Leur intimité représentait en soi un blasphème.
Sans évoquer le péché de la luxure qui menaçait, elle le voyait venir au grand galop... Pourtant, elle s'en moquait comme de sa première robe. Elle consentait.

- Je n'avais pas envie de passer cette nuit loin de toi.

Boum boum.

Boum Boum.

Boum BOUM.

Assourdie par son organe, la pluie s'évanouit aux oreilles de Pia. C'était une vérité incisive comme il n'avait jamais osé lui en révéler. Aucun aphrodisiaque n'aurait pu avoir d'équivalent.

- Tu as froid ?

Elle tremblait comme une feuille, il semblait qu'une force divine la secouait sans retenue. Éros, la main du désir.

- Bien au contraire.

Sa voix était méconnaissable, d'un érotisme inattendu.

Elle aurait tout donné pour le voir. Absolument tout ; même son âme. Savourer la plus infime ridule de son expression qu'elle devinait torturée et ses iris rutilants.

- Pia... je t'en conjure, dis oui.

Si mon cœur ne lâche pas avant.

- On s'est déjà embrassé, Dani ; ahana-t-elle dans un état second. Tu ne m'as jamais demandé.

Grognait-il ? Ça en avait tout l'air.

- Tesoro mio , il n'est pas question d'un baiser... mais de la plus douce des folies.

Et elle se souvint de ces mots balbutiés avec gêne à Élia au détour d'un Canoli : « je n'ai pas de... critères. Je pense que je saurais avec qui et quand le moment venu ».

Il n'y avait pas de notices. Juste un cœur furieux, des mains fébriles et moites, un souffle à éclipses. Maintenant. Que ce soit insensé, prohibé ou répréhensible, peu importait. Parce que tant qu'elle ne se serait pas départie de ce désir obsédant, jamais elle ne pourrait tourner la page et l'écume de ses jours serait bordée de regret.

- Oui.

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Vous sentez ? Vous sentez la lourde atmosphère ??? J'adore mon sadisme...

Vous sentez ? Vous sentez la lourde atmosphère ??? J'adore mon sadisme

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À vendredi !
Adriana Dreux ♡

𝐀𝐕𝐄𝐔𝐆𝐋𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant