Chapitre 45 (2/2)

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Elle avait beau être recouverte de tissu, Pia tremblait de froid : son corps saturait, il ne supportait plus de vivre dans le chaos et les ténèbres. Pia incarnait un être de lumière. Elle avait besoin du soleil, de rire, d’insouciance… En un mot, c’était une artiste. Pas une héroïne épique.

Elle n’en pouvait plus, cet évènement constituait le jerrican qui faisait déborder la cuve. Elle avait beaucoup toléré, mais là… elle se sentait mourir. C’était lent, progressif, corrosif. Chaque jour un peu plus, la gangrène gagnait du terrain et ça attaquait désormais les organes vitaux : le cœur était douloureux, les poumons défectueux…

Tant bien que mal, elle tenta de recouvrer l’empire qu’elle avait sur elle-même se rappelant ses premières nuits à l’orphelinat. Comme à cette époque, les larmes étaient laborieusement répressibles.

Pire encore, l’enfer qu’elle écoutait la tirait vers le bas : les hurlements tantôt de colère, tantôt de terreur, mais aussi les suppliques, les insultes et le chant des mitraillettes. C’était sans fin.

Combien de temps encore avant que le cauchemar ne cesse ? À quand l’épilogue de l’horreur ? En écho à ses pensées, les bruits s’amenuisèrent, et bientôt, un tout autre boucan, plus effrayant : les pieds courraient, les portes s’ouvraient à la volée. L’on cherchait. On débusquait les survivants.


Notre Père, qui est aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du Mal. Amen.

Pia priait spasmodiquement, effectuant des signes de croix à tout bout de champ lorsque la porte de la pièce s’ouvrit à la volée, percutant le mur. Elle sursauta, étouffant d’une main le couinement au bord de ses lèvres.

Ils sont là, ils sont là ! Pitié, Seigneur, ne m’abandonne pas. Pas maintenant, pas aujourd’hui. Par-delà le battant du placard, le tumulte : verre brisé, vases cassés, chaises fracassées, meubles retournés… Enfin, cela, c’était ce que Pia déduisait de ces bruits de déménageurs furieux.

Les mains jointent, ou du moins partiellement – la pianiste tremblait si impeccablement que ses paumes peinaient à maintenir leur connexion –, elle poursuivait ses conjurations. Tu as toujours été bon envers moi, et je ne te remercierai jamais à juste mesure pour tes bienfaits, Seigneur. Mais aujourd’hui, je t’en demande un peu plus. Couvre-moi, je t’implore.

Les larmes roulaient religieusement et, les pas approchant, elle se sentait sur le point de s’évanouir. En ce tragique épilogue, il n’y avait plus personne pour faire barrage à Vicenzo. Élia était à Londres, Dani absent… Elle était livrée au serpent, à ce terroriste qui avait fait sauter femmes et enfants.
Que ferait-il d’elle ? Elle n’osait même pas l’imaginer. Et, dans une réflexion qui était contraire à ses idéaux, elle se demandait s’il n’était pas préférable qu’il l’attrape morte que vive.

– Il n’y a rien ici.

Quelques mots, faibles, subtils, quasi indiscernables et pourtant, ils parvinrent à Pia sous la forme d’une chance, d’un sursis. Peut-être… Peut-être… Hélas, la musicienne tremblait si bien qu’un vêtement finit par choir dans la penderie. Son sang se glaça, ç’avait été un son étouffé, un frou-frou d’étoffe qui suffit à arrêter les individus qui s’éloignaient. Seigneur !

𝐀𝐕𝐄𝐔𝐆𝐋𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant