Chapitre 19 (2/2)

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Ils avaient nagé. Ils avaient nagé en évitant tout contact. Longuement. Le temps qu’il avait fallu à Dani pour retrouver un empire sur lui-même. Et bon sang, ça avait duré une éternité ! Lorsqu’elle s’était extirpée de l’eau, ses doigts étaient fripés.

Aussi, alanguie sur sa serviette, Dani à sa droite, elle savourait les rayons qui la séchaient tranquillement, l’immunisant de la fraîcheur du vent.

Pia avait toujours aimé la mer. Quand ses parents étaient encore de ce monde, ils l’y emmenaient souvent. Son père lui avait donné des leçons de natations, se substituant au maître nageur. Lorsqu’elle avait été placée à l’orphelinat, les virées sur le littoral avaient cessées. Désormais sans entraves, elle renouait avec cette habitude passée. Le genre d’escapades que le climat sicilien favorisait grandement.

Les yeux fermés, il n’existait pour elle aucune sensation plus agréable que celle qui la parcourait : cet amollissement général, cette sensation de propreté défaite de transpiration, et cette envie de fermer les yeux sous le soleil. La tranquillité et l’apaisement ultime. L’eau, ce liquide où tous flottaient pendant neuf mois, en était-elle la cause ?

– Tu ne préfères pas te mettre à l’ombre ?

La voix de la raison… Cependant, comment s’opposer à l’irrésistible caresse des ultraviolets ? Elle prendrait le risque du coup de soleil, pour rien au monde elle ne désirait retrouver une position verticale.

– Non… J’ai de la crème dans mon sac. Tu voudrais bien me la donner ?

Il fit bien plus que cela. Un filet de pommade chut le long de sa colonne vertébrale avant d’être appliqué sur toute la surface de son dos par deux mains calleuses, immenses. Répondant à l’appelle, les frissons se manifestèrent immédiatement.

– Merci… bredouilla-t-elle, désireuse de rompre le silence alourdi d’une tension palpable. C’est gentil.

Au-dessus de ses épaules, tout près de son visage, l’éclat de son amusement. Dans quelle position était-il ?

– Ce n’est pas « gentil », Pia. C’est intéressé.

La quiétude et les calmes soixante battements par minute de la somnolence rimaient avec histoire ancienne. Pia était bien éveillée, elle pouvait même dire « électrifiée » si elle en jugeait à son cœur qui n’aurait pas davantage été stimulé par un défibrillateur.

Toute sa répartie s’évapora au rythme des doigts forts qui faisaient langoureusement rouler les muscles. C’était… Diabolique ? Érotique ? Ambrosiaque ? Telle une spéléologue de la langue, elle inspectait les tréfonds de ses souvenirs relatifs au dictionnaire sans entrevoir l’ombre d’un terme adapté. Tout simplement parce qu’il n’en existe pas, conclutelle.

L’appui qu’il exerçait sur ses épaules lui arracha un gémissement. Au fil de ses entraînements et des représentations, Pia accumulait une pression innommable au niveau du buste. Bien sûr, quand elle jouait, il lui fallait se montrer souple et déliée, mais au-delà de ça il y avait cette envie de faire au mieux, cette intransigeance envers son travail, cette discipline ardue qu’elle s’infligeait. Tant d’éléments capables d’entretenir un stress pernicieux et des strictions musculaires.

Satisfait, Dani passa aux étages inférieurs : son dos, ses flancs, le creux de ses reins et le haut de ses fesses. De fil en aiguille, les soupirs de la jeune femme exprimaient tout autre chose. Ce n’était plus seulement de la détente, c’était de l’exigence.

Plus.

Il fallait plus.

Elle rêvait de plus.

Elle avait besoin de plus.

Pia Parisi comprenait qu’entre eux, tout contact était dangereux. D’autant plus qu’elle éprouvait le désir de l’homme au-dessus d’elle. Il était si puissant qu’il ne pouvait pas le dissimuler dans son imperméabilité interne.

– Je te préviens… tu iras nager sans moi.

Il rit, retombant sur les fesses. Quelle métamorphose, médita-t-elle, entre la première fois, au théâtre, et aujourd’hui, sur cette plage. Il avait changé du tout au tout, plus ouvert, plus lui-même et plus humain.

– Sans façon.

Elle l’entendit ranger le tube d’onguent puis perçut un froissement. Il s’était allongé à son côté.

– Tu sais… c’est vraiment bizarre, déclara-t-elle finalement. Depuis mes sept ans, j’éprouve avec plus ou moins de clarté ce que les personnes ressentent. Mais avec toi, rien.

Sa tête bascula en sa direction, cherchant ses mots pour exprimer son trouble.

– C’est comme si… comme si tu rejetais les autres.

Tous deux ignoraient où elle voulait en venir. Insouciante, elle vagabondait le long de ses pérégrinations, s’appesantissant finalement sur une difficulté.

– Qu’est-ce qui s’est passé ? Que t’est-il arrivé ?

Il y avait un fil conducteur. Indubitablement.

– Comment ça ? il contrecarra, sec.

– Je ne sais pas trop comment l’exprimer, mais… tout le monde pense, tout le monde ressent. Et ce n’est certainement pas un plaisir pour moi d’avoir accès à ça, mais c’est un fait : chaque personne que j’ai un jour touchée m’a révélé sa sensibilité, ses doutes, ses peurs, ses aspirations, ses vices… Toi, rien. C’est comme si tu étais vide alors que je suis persuadée que ce n’est pas le cas ! Aussi, je me demande ce qu'il t’est arrivé. Tu ne montres rien, Dani.

Pia chargeait contre la brèche de leur intimité. Et peutêtre était-elle en train de saccager l’instant, ou peut-être lui donnait-elle une chance de se parfaire ?
Pantelante, elle demeura sur le quai de la vérité de longues secondes, attendant le train qui ne venait pas. Une minute écoulée, elle n’espérait plus.

– Tout compte fait, je vais aller me baigner.

Traduction : je ne veux pas en parler. Il se dérobait face à l’obstacle, tel un cheval craintif. Il ne s’ouvrirait pas cette fois, mais il finirait par le faire. Elle y croyait. Plus important : elle ne lui tenait pas rigueur de son silence, elle n’avait rien à exiger. Chacun son histoire ; chacun sa façon de l’assumer.

Pour l’heure, elle estimait l’avoir suffisamment brusqué par son discours. Preuve à l’appui, il avait pris la fuite. Elle attendrait.

Allongée sur le sable, la jeune femme conservait une unique espérance : que leur complicité demeure inchangée, qu’à l’instant où il sortirait de l’eau, tout serait comme avant.

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Voilà pour aujourd'hui ! Pia creuse un peu...

Voilà pour aujourd'hui ! Pia creuse un peu

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À mercredi !
Adriana Dreux ♡

𝐀𝐕𝐄𝐔𝐆𝐋𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant