Chapitre 46 (2/2)

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Tel un beau diable, il tirait sur ses poignets à s’en démembrer, il persiflait avec l’éloquence de Satan et menaçait avec la fureur d’un homme pour qui le monde n’est qu’un échiquier géant. Lui ; muselé comme un chien ? Il arracherait la carotide de Vicenzo avec les dents !

–J’ai…

À la naissance du murmure, il se statufia. La parole se matérialisa en un si mince filet d’air qu’elle s’effaçait dans le vent d’une façon confondante.

–J’ai mal.

Un uppercut – que disait-il ? – ; une opération à cœur ouvert sans anesthésie, aurait été moins douloureuse ! La femme qu’il aimait souffrait, et il était impuissant, pieds et poings liés.

–Où ?

C’était assurément un acte masochiste que de demander. Mais il aurait fait n’importe quoi pour l’entendre un peu plus. Il était privé d’elle depuis trop longtemps. Cela faisait des jours qu’il luttait pour la retrouver, cherchant sous chaque feuille de la Sicile, retournant le plus petit caillou.

Et maintenant qu’elle était tout près… il ne pouvait même pas l’étreindre, l’embrasser, la sentir ! Il n’y avait pas pire torture. En cet instant, il ressentait une sympathie particulière pour Tantale.

–Partout ; souffla-t-elle… J’ai mal partout.

Boum Boum.

BOUM…

BOU…

Dans sa poitrine, une grève générale. Le cœur refusait d’accomplir son travail, brisé.
Il se serait immolé pour la pierre qu’il lui avait lancée. Pour avoir osé la meurtrir.

–Pia… je te promets que tout cela va cesser. Je suis là, on va sortir.

Dani ne reconnaissait même plus sa voix. Il y régnait une désolation, une tristesse et une affliction sans égales. Tout ce qu’il refoulait, en général.

–Ne fais pas de promesses que tu ne peux pas tenir.

Réception d’une balle en ses chairs. Elle venait de lui tirer dessus froidement, sans égard, comme il l’avait lui-même souvent fait au cours de son existence.

–Je…

Le cœur était reparti, survolté. Ce n’était pas le moment, le lieu était des plus inadéquats, mais ça lui était bien égal. Il avait besoin de le dire, comme certains ont la pulsion de respirer, comme d’autres doivent manger ou comme d’autres encore ressentent la nécessité de chanter.

Parler maintenant ou se taire à jamais. Délivrer sa flamme ou mourir brûlé de l’intérieur.

–Je suis amoureux de toi.

Seulement, Pia n’avait pas écouté, hurlant :

–Il arrive ! Seigneur, il arrive ! J’ai si peur ! C’est fini, fini… il est là !

–Qui arrive ? Qui, bon sang ? s’excitait Dani, submergé par l’affolement en l’entendant dans une si profonde détresse.

–Je vais mourir !

Ce cri suffoqua Dani, il y décelait l’inquiétude, la terreur, cette certitude macabre de finitude immédiate.

–Pia ? insista-t-il.

Elle ne répondait plus, elle était envolée. « Ploc, ploc. », faisait l’eau.

–Pia !

Le vent, toujours fuyant, glaçait l’atmosphère.

– PIA !

La chute, le réveil. Hagard, les yeux perdus contre le plafond, il regagnait son souffle.
Encore un, encore un cauchemar.
Ce n’était qu’un mauvais rêve. Il ne l’avait pas réellement frappé, tout comme elle n’avait pas été là, tout comme il ne lui avait pas dit l’aimer. Le retour au monde matériel, un chemin de croix escarpé. Plus l’illusion était vraisemblable, plus il lui était difficile de se raisonner. Et bordel, ce qu’elle l’avait été ! Dani pensait avoir retrouvé Pia.
Petit à petit, il perdait la tête. Boule au ventre, espoirs et échecs, mais surtout, attente. Voilà ce en quoi se résumait son quotidien. Pour que la torture soit pleine et entière, une vision lui revint : le sang, les corps, le mobilier ravagé, sa maison sans dessus dessous, et les quelques survivants qui n’avaient aucune idée d’où se trouvait Pia.

Alors le cyclone Dani avait pris la relève de la tempête Di Lauro. Après avoir démembré sa demeure brique par brique – pour ainsi dire – afin de la retrouver, il avait songé aux caméras. La dernière image qu’il avait de Pia : une jeune femme inconsciente qu’une brute soulevait sur son épaule comme une charge pénible dont il avait hâte de se délester. Son corps grêle et mollasson, sa tête dodelinant au gré des mouvements, ses cheveux flottants négligemment au vent. Une poupée de chiffon.

La mâchoire serrée, il crispa ses mains en des poings compacts. Il réprimait une violence qui ne demandait qu’à sortir.
Sur son dos, la dureté du sol lui fit réaliser qu’il n’était pas dans sa chambre. Il était à terre, dans sa salle de sport. Alors, la frise chronologique lui parvint sous forme de flash : après des jours à s’interdire le sommeil, et une énième recherche infructueuse, il avait évacué sa frustration sur un sac de sable. C’était ça ou… la folie.
Il avait si bien tapé qu’il en avait fait saigner ses poings avant de s’endormir à même le sol, fourbu de fatigue. Il porta ses poings à ses yeux. Ce n’était pas trop vilain, le sang avait coagulé. Cette douleur-là n’était rien en comparaison à ce qui le broyait de l’intérieur.

Elle lui manquait terriblement. En trois jours, il n’avait trouvé le repos que par la force : son corps – ce traître –, harassé, comatait dès qu’il en avait l’occasion : sur le sol, dans le fauteuil de son bureau… Comment dormir ? Comme auraitil pu se prélasser alors que Pia croupissait dans le froid, il ne savait où ?

Si seulement…

Son poing se fracassa contre le parquet. La culpabilité : une émotion tenace, sans pitié.
Et alors, les muscles si bien bandés qu’il frissonnait de tout son corps, un phénomène extraordinaire se produisit : une perle salée vogua du fond des yeux vers la muqueuse pour rouler et se tuer sur la joue de l’homme.

Une larme : nom commun et banal qui se parait d’un caractère Auguste par le nom propre qui lui était postposé. Une larme de Dani.

Cet évènement relevait du mémorable, du remarquable, une rareté comme on en voit tous les dix ans. Parce que cela faisait bien une décennie que Dani n’avait pas pleuré. Depuis Guiseppe.

Et c’est par la douleur que Dani ressentait en ayant perdu Pia qu’il réalisait l’ampleur des sentiments qu’il lui destinait.
Il faut la retrouver.

– Coûte que coûte.

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Beaucoup d'entre-vous ont étés troublés par le chapitre d'hier... désormais vous comprenez le twist ? ;)

 désormais vous comprenez le twist ? ;)

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À lundi !
Adriana Dreux

𝐀𝐕𝐄𝐔𝐆𝐋𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant