Chapitre 43 (2/2)

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– Je te le jure, Pia : tu retrouveras bientôt ta liberté.

La main contre sa joue, il glissa sur le renflement de la pommette. Elle le crut, comme elle croyait tout ce qui venait de lui.
Mais la conscience survint et elle ne put fermer les yeux :

– Tu comptes… Qu’en est-il de Vicenzo ? C’est à cause de lui que je me cache.
Elle avait de hautes aspirations pour Dani. À force de temps, d’abnégation et de sueur, elle espérait pouvoir tailler et polir le diamant brut. La cuirasse du Parrain était une résultante de la vie, non la définition de son être.

– Tu vas… le remettre à la police ? tenta-t-elle.

Naïve. Oui, elle se doutait que son sort adopterait une apparence plus funeste. Mais par une interrogation de forme, elle soumettait à sa réflexion une issue favorable, humaine.

– Ce n’est pas possible, Pia.

– Certains Français se plaisent à affirmer : « impossible » n’est pas Français. Je pense que ça peut aussi s’appliquer chez nous.

Vicenzo avait attenté à sa vie. Elle n’oubliait pas. Mais le pardon était un acte de foi qu’elle avait intégré en chaque fibre de son être. Lorsqu’on lui avait déchiré son doudou préféré, elle avait pardonné. Lorsqu’on lui avait arraché ses parents, elle avait – difficilement – pardonné. Lorsqu’on lui avait soustrait la vision, elle avait pardonné. Lorsque Dani lui avait menti, elle avait pardonné. Tant qu’il expiait pour ses crimes, elle se sentait prête à absoudre Vicenzo.
Ce n’était pas faiblesse, mais grandeur d’âme. La rancœur et l’amertume détruisaient les cœurs.

– Là-dessus, nos avis divergent, Pia. J’admire ta bonté, mais elle t’empêche de comprendre. Ça ne fonctionne pas comme ça.

– Et comment cela fonctionne-t-il ? N’est-ce pas vous qui fixez les règles ? Dans ce cas, elles peuvent changer, elles le peuvent toujours.

– Tu ne sais pas ce que tu dis ; déclara-t-il sèchement.

La colère montait. Il l’infantilisait, il ne l’écoutait même pas. Il dédaignait ses propos.

– Au contraire. Je sais très bien ce que je dis et ça te fait peur.

Son rire lui donna des pulsions violentes. Non seulement il ne la prenait pas au sérieux, mais en plus, il se moquait d’elle.
Pia, tu ne me fais pas peur !

Contrariée, elle se redressa et rompit tout contact avec lui. Son amusement était intolérable.

– Alors où sont tes arguments ? Où est ta défense ? Tu fuis.

Son rire agonisa dans sa gorge, elle l’avait touché en sous-entendant sa lâcheté.

– Tu veux des arguments ? Samedi soir, il a placé six bombes dans Palerme. Il a fait exploser mes hôtels et sept cents personnes innocentes avec.

Pia tombait des nues, encaissait le coup. Vicenzo avait… Il avait… été aussi loin ? Était-ce possible ? Oui, ça l’était ; conclut-elle en fusillant sa candeur. Mercredi matin, quand Dani et elle avaient quitté l’orphelinat, elle avait senti que quelque chose ne tournait pas rond et depuis lors, la tension était montée crescendo. Elle comprenait mieux ce pour quoi il avait oublié son propre anniversaire.
Vicenzo Di Lauro, l’homme qui était venu dans sa loge et lui avait fait froid dans le dos, avait tué à l’aveuglette ? Pia ne s’était pas fourvoyé concernant sa noirceur, elle aurait préféré.

Et maintenant : pouvait-elle pardonner ? Absoudre un être qui avait fait de la chair à pâté d’enfant ? Elle eut un hautle-cœur et il lui sembla qu’elle devait faire un choix entre la peste et le choléra.

– Ta bienveillance est louable, Pia ; reprit tendrement Dani à la vue de son teint pâle. Mais elle n’aura jamais sa place dans mon milieu. Elle y mourrait.

Ses grands rêves miroitants en son esprit se fendillaient comme du verre. N’y avait-il donc aucune issue ? La sclérose était-elle immuable ?

Peut-être que non :

– Alors… pourquoi ne pas partir ? souffla-t-elle, le cœur au bord d’une falaise.

– Quitter le Système ?

Elle acquiesça avec force.

Ils migreraient vers le Nord, là où la vie est douce. Rome, peut-être ? Avec ses économies, elle louerait un appartement le temps qu’il trouve un emploi. Ils vivraient ensemble dans l’insouciance. Ils se disputeraient pour des broutilles comme les couples ordinaires. Pourquoi n’as-tu pas jeté la poubelle, je te l’avais demandé ? Je t’avais dit d’acheter des tomates ? Puis, quand ils se seraient lassés du vacarme de la ville, ils prendraient une maison en banlieue avec un immense jardin. Ils adopteraient un chien, Fantasio. Un gros, un grand, juste au cas où, et parce qu’il faudrait qu’ils s’exercent à la parentalité. Puis il lui ferait des enfants : un, deux, trois… Ou il la demanderait en mariage avant. Enfin, ils vieilliraient ensemble, main dans la main, jusqu’à ce que la mort les sépare.

Oui, c’était bête, puéril et bien d’autres choses encore. Mais cette perspective était d’une si charmante banalité qu’aucun autre avenir n’aurait davantage trouvé grâce aux yeux de Pia.

– C’est… Impossible. Le Système, on ne le quitte jamais. Il nous rattrape. Ce milieu me collera toujours à la peau, je n’ai jamais songé à… à ce que ma vie aille dans une direction divergente.

À coup de marteau, il pulvérisait le tableau doux et utopique qu’elle avait dressé. Et le retour à la réalité fut si brutal, l’adieu si douloureux que les perles lacrymales lui montèrent aux yeux.

Impossible n’est pas… Sicilien.

Les larmes roulaient ; s’en était fini. Dans un geste tendre et maladroit, celui d’un homme qui ne sait pas, il l’enveloppa de ses bras. Un réconfort superficiel.

Avec désespoir, elle songea à cette journée qu’elle avait imaginée et qui ne viendrait pas. Ils auraient préparé un gâteau – Pia, tant bien que mal, Dani, pitoyablement –, il aurait soufflé une bougie, ils se seraient extasiés sur le goût surprenant de la concoction et ils auraient passé la soirée à paresser entre les draps.

Mais Dani ne cuisine pas, ma pauvre fille, il tue des gens et ton cœur avec. 

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La mafia n'est pas un conte de fée...

La mafia n'est pas un conte de fée

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Adriana Dreux ♡

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