Chapitre 19 (1/2)

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« C’est ainsi qu’on tombe amoureux, en cherchant dans la personne aimée le point qu’elle n’a jamais révélé. »

Erri de Luca

Boum boum.
Boum boum.
Boum boum.

Quand elle était enfant, Pia priait pour perdre l’audition. Nouvellement aveugle au monde, elle ne voulait plus l’entendre. Le gazouillement des oiseaux, le chant des cigales, les rires des autres, les voix de personnes dont elle méconnaissait l’apparence… Tant de sons qui lui rappelaient douloureusement ce qu’elle ne contemplerait plus.

Aussi, en désespoir de cause, elle avait cherché du réconfort en son idole : le Seigneur. Je ne veux plus les entendre ! Pitié, si vous m’écoutez, aidez-moi. Ça n’avait jamais fonctionné. Le Tout-Puissant l’avait secourue d’une tout autre façon : l’acceptation.

Et aujourd’hui, alors qu’elle aurait aimé ouïr le plus infime souffle de vent, se remémorer le cri des mouettes, capturer le flot des vagues… elle en était incapable. Tout ce qui l’accaparait, la saturait, se condensait en cet organe qui cognait douloureusement jusque dans ses temps. Rien ne semblait pouvoir museler son cœur fougueux, éperdu.

Le peau à peau… un toucher intime qu’elle avait expérimenté avec sa mère à la maternité ou durant sa première année, lorsqu’elle sortait du bain. Ce contact privilégié était à des années-lumière de celui qu’elle goûtait avec le Palermitain. Pressée contre un Dani dont la nudité était imparfaite du fait de son sous-vêtement, elle avait une conscience accrue du moindre centimètre carré de son épiderme. De ses cuisses puissantes à ses abdominaux ciselés épousant son propre ventre, de ses pectoraux saillants sous la pulpe de ses doigts, à ses bras fuselés qu’elle devinait capables de la soulever sans difficulté… Mais plus encore, elle ne pouvait faire abstraction de cette rigidité enfoncée dans la chair tendre de son abdomen.

Pia n’avait jamais imaginé, touché ou vu de membre masculin. Ses connaissances étaient élémentaires, l’école se chargeant d’entamer l’éducation sexuelle des enfants. Puis son instruction avait été parfaite par les récits d’Élia, mais tout cela demeurait théorique. Bref, la nouveauté se profilait.
À l’égard de cette innovation, dans une attitude purement humaine, Pia ressentait une grande curiosité. Nul dégoût, davantage de l’intérêt et aussi de l’appétit : les circonvolutions de son entité couvaient un brasier inouï. Quant à l’Angoisse, elle ne trouvait aucune prise à laquelle s’accrocher dans sa poitrine. Impossible d’avoir peur, il se produisait ce qu’elle avait décrit à Élia quelques semaines plus tôt : le sentiment d’être avec la bonne personne, au bon endroit, au bon moment. Les astres étaient alignés en cette plage ardente. Pourquoi trembler ?

En réalité, ces frissons n’étaient que les réponses de son corps sensible et impatient. Elle aimait ça. Elle aimait Dani : être contre lui, avec lui, lui parler, le découvrir, l’explorer. Car c’était bel et bien une aventure. Toute voile dehors, elle voguait en terre inconnue. Pirate des mers en quête de péripéties.

Enhardie par cette image flatteuse, elle s’agrippa plus férocement au cou de son homme. Elle souhaitait se fondre en lui, disparaître en son corps, voir le monde de ses yeux, ressentir à travers son cœur, exhaler par ses poumons, s’exprimer depuis sa bouche, entendre de ses oreilles. Elle voulait tout. Pour la première fois, elle désirait ardemment et égoïstement. Était-ce mal ? Non ! Elle n’avait jamais rien demandé, jamais rien exigé et toujours laissé aux autres, se souciant d’elle en dernier. Aujourd’hui, c’était son tour, c’était sa chance. Dani Corleone était son cadeau de Dieu. Son plus beau frisson.

Il enfonça le portail de ses lèvres, quoiqu’il fut davantage question de portes automatiques : elle ne fit aucune résistance, accueillant chaleureusement sa langue douce, chaude et humide.

𝐀𝐕𝐄𝐔𝐆𝐋𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant