Chapitre 14

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CHAPITRE 14

Collation

『 Gail』

Ça fait des années que je ne me suis pas sentie aussi contrariée par mes mains et leur absence de gants. J'avais toujours fait très attention pour ne pas que cela se remarque. Apparemment, avec panache, puisque mon employeur ne comprend visiblement pas le drame que cela représente d'avoir oublié mon attirail au théâtre.

Je ne lui décoche plus un mot de tout le trajet du retour, dévastée. Il ne fait pas très beau, à l'extérieur. Il fait froid, à l'image de mon cœur... Et du sien, par ailleurs !

Comment peut-il ne rien remarquer ? Il est si intelligent, d'ordinaire.

De retour à l'intérieur, Mycroft réclame un thé. Je sens bien que c'est une tentative pour clôturer la soirée sur une note un peu plus positive que celle qui s'annonce. De toute façon, il m'a offert une soirée à l'opéra, je peux bien le remercier avec un thé chaud avant la nuit.

Je réponds machinalement, en jetant presque sa veste sur la porte-manteau, sans la moindre précaution. Je regrette mon geste aussitôt, trop tard : ce qui est fait est fait.

Dans la cuisine, le chauffage est coupé à cette heure, alors je n'aspire qu'à une chose, que l'eau s'échauffe au plus vite afin de rentrer dans la chaleur du petit salon.

Enfer, qu'est-ce que c'est long ! Pourquoi c'est si compliqué de rester à attendre de l'eau bouillir ? Ça fait vingt fois que je range, dérange, re-range mes tasses et soucoupes sur la desserte. Dans la pénombre de la cuisine, que je n'ai pas pris la peine d'allumer, je ne vois pas l'état de mes mains. En revanche, je sens bien l'engourdissement de mes mains.

Enfin, la bouilloire siffle. Je me dépêche de préparer le thé et je cours presque jusqu'au salon. En entrant dans la lumière de la pièce, je constate amèrement le résultat : mes doigts sont bleus.

Je fais mine de rien, que cela ne m'affecte pas. Je suis encore habillée légèrement, qu'est-ce que je ne donnerais pas pour enfiler un bon pyjama, me coller au premier radiateur disponible pour chauffer mes mains. Toutefois, ce ne sera pas le cas de suite. Mycroft aimerait que je reste un peu, pour lui tenir compagnie.

J'aurais pu prétexter que je n'avais pas envie de traîner, que je dois me lever tôt demain... Alors, pourquoi ? Pourquoi je me sens incapable de lui refuser cet instant avec lui, au fond ? Je le sers, je m'assieds dans le fauteuil qui lui fait face.

Il est beau, ce soir. Je veux dire par là qu'il est toujours tiré à quatre épingles, mais là, il y a autre chose. Je le trouve différent, dans le bon sens du terme. Il termine de consulter les cours de la bourse avec son téléphone et me détaille en le reposant. Je ne lance aucune conversation, ni aucune remarque intéressante. Je tente de camoufler mes mains sous mes cuisses pour ne pas me retrouver dans une situation inconfortable.

— Pourquoi tu t'infliges cela, Gail ?

Je le dévisage, je ne comprends pas. De quoi parle-t-il ? Mycroft sort, pour illustrer sa question, mes gants de son veston. Il me les tend non sans se parer d'un rictus satisfait.

— Je te conseille de plutôt te réchauffer avec les flammes, c'est pour cela que j'ai actionné le feu ouvert, au cas où tu te poserais la question.

Que je comprenne bien... il était au courant ?!

— Si tu veux t'énerver sur ma personne, anticipe-t-il, c'est le bon moment. Demain, ce sera trop tard et, maintenant que le thé est fait, tu ne risques plus de te venger en crachant dans la théière.

Cœur Coquelicot [GxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant