CHAPITRE 10
Trou normand
『 Gail』
— Deuxième passage, c'est parti !
Je ferme le clapet du lave-vaisselle pour la deuxième fois de la matinée, je me lave les mains, à moitié satisfaite : j'avais oublié à quel point c'est un énorme service à nettoyer que douze personnes avec de multiples plats.
La cuisine demeure fraîche, malgré le matin qui avance et les divers électroménagers qui fonctionnent. Je me lave donc rapidement les mains, je me les sèche, me dégoutant de la teinte que prennent mes doigts à cause de l'eau qui n'est pas plus chaude. Bientôt, ils seront complètement bleus.
Je remets mes gants aussi vite pour me réchauffer un peu, je me frotte les paumes l'une contre l'autre pour me procurer davantage de chaleur.
— Vous savez que c'est censé être votre jour de congé ? dit une voix dans mon dos.
Je me retourne, effrayée. Mycroft Holmes s'est infiltré dans la pièce tel un serpent, je ne l'ai pas entendu arriver. Je croise machinalement les bras dans mon dos.
— Bonjour, monsieur, le salué-je, en effet, mais cette vaisselle ne doit pas traîner trois jours dans l'évier.
— Gail, tu viens de reconnaître que tu étais en congé. Les « monsieur, » c'est pour...
Il laisse délibérément sa phrase en suspens pour que je la complète.
— Quand je suis de service. D'accord, lui concédé-je, ça commence à venir. Je promets que ça va rentrer. En revanche, je peux toujours proposer un thé pour le petit déjeuner, non ?
— Je ne sais pas, réfléchit-il, tu comptes cela comme des heures supplémentaires ?
Je dodeline de la tête en riant.
— C'est simplement parce que ça me fait plaisir, l'encouragé-je.
— Alors, compte tenu de la soirée éprouvante dont je peine à me remettre, peux-tu plutôt m'offrir un café ? Tu en as acheté pour les cancrelats d'hier soir...
— Les cancrelats ! me choqué-je. Ce sont tes invités, tout de même !
Il prend place à table, alors qu'il ne reste jamais dans la cuisine. Tandis que je me mets à faire un peu de café, je le vois regarder autour de lui avec minutie, j'ignore s'il est en train de m'évaluer ou...
— Nous ne sommes pas obligés de rester ici, je peux très bien tout apporter au salon, proposé-je.
— Je suis très bien ici, Gail, dit-il d'une voix ferme.
Il ne plaisante pas, il ne compte pas s'éloigner ou quitter la pièce. Très bien, je vais devoir m'en contenter. J'inspecte rapidement le frigidaire, à la recherche d'un petit-déjeuner enviable.
— Ne t'encombre pas, devine mon patron en poussant un soupir. Je n'ai pas faim, tu m'as fait dévorer l'équivalent de trois jours de banquet en une soirée.
— Il ne faut rien exagérer, ris-je en servant le café.
— De toute façon, si je m'empâte, Sherlock trouvera ce prétexte pour m'enquiquiner.
— Je me ferai une joie de ne pas le laisser faire.
— Vraiment ?
Il paraît réellement étonné. Il est où, le problème ? D'accord, son frère et moi étions amis d'enfance, j'ose prétendre que nous le sommes toujours, toutefois, je ne vois pas pourquoi je le laisserais devenir odieux si ce n'est pas mérité.
J'ai souvent pris la défense du jeune Holmes, peut-être même autant que je n'ai pu défendre mon jumeau. Alors, franchement, il peut bien subir un peu mon courroux, en particulier quand ce qu'il pourrait dire ne me plaît pas.
— Vraiment, affirmé-je. Et puis, tu es très bien comme cela, à y réfléchir. Il s'est regardé, lui ? Famélique et le teint blafard ?
— Tu n'es pas obligée de forcer le trait, ricane Mycroft.
— Je n'exagère rien du tout. À choisir, je préfère mille fois avoir quelques formes en plus que d'être un sac d'os. Au moins, j'aurais le mérite de tenir chaud, le soir.
Je me rends compte de ce que je dis au moment de refermer l'armoire d'où je venais de dégoter les tasses.
— Pardon, m'excusé-je les yeux ronds, ça m'a échappé, je... Je ne sais pas ce qui m'a pris.
Contre toute attente, Mycroft se met à sourire, puis, à rire. Quelque chose de court, mais de sincère : un petit rire.
— Voilà ce que j'appelle des propos illustrés, s'amuse-t-il. Ne t'en fais pas. Il en faut bien plus pour me faire reculer.
— Reculer ?
— Me faire mauvaise impression, si tu préfères.
Je sers sa tasse, mais je pense à poser un peu de lait à côté : il ne supporterait pas l'amertume pure et forte du café noir, je commence à le connaître.
Cette attention ne lui échappe pas, il savoure ce que je lui ai donné, mais n'ajoute rien de plus. Il m'observe m'affairer, poursuivre mon rangement, du coin de l'œil, en faisant preuve du minimum de discrétion possible.
— Il y a quelque chose dont tu souhaites parler ? m'enquis-je en réajustant mes lunettes.
— Qu'en sais-tu ? s'offense-t-il.
— J'ai été en cours avec ton frère durant des années. Vous avez ces mêmes sourcils froncés, cette expression...
— Toujours tout ramener à lui, marmonne-t-il. En réalité, je me demandais si vous... Si tu... Enfin, ce n'est pas un ordre, loin de là ! Mais il se trouve que je pars au théâtre ce soir, je dois faire une apparition pour affaire.
— Tu veux que je reste à la maison pour veiller au grain ? Ce n'est pas trop compliqué.
— Non, non ! se reprend-t-il. J'ai deux places. Je me disais que... Pour ne pas la perdre, tu pourrais venir avec moi ? Si ça t'intéresse, bien sûr.
Là, il ne me regarde plus, il se contente de fixer son café comme s'il avait aucun autre intérêt que ce breuvage au monde.
— Ça a l'air de te coûter de le demander, tenté-je de plaisanter pour l'apaiser.
— Non, pas tout à fait. Cependant, ce n'est pas quelque chose que je fais habituellement. Alors je crains de faire cela d'une mauvaise façon, de sortir des convenances.
— Si ça peut être rassurant, c'était très bien.
Je ne suis pas des plus espiègles, mais cela m'amuse de le laisser patienter un peu. Ainsi, je prends un malin plaisir à nettoyer mon plan de travail avant d'en reparler.
— Qu'est-ce qu'ils jouent ? fais-je mine d'hésiter.
— Je t'avoue que je n'en sais absolument rien, je vais pour affaire, comme je l'ai dit. Mon objectif premier n'est pas vraiment de profiter du spectacle. Si je peux en faire profiter quelqu'un, ce serait mieux.
— Bon, alors j'aurai la surprise.
— Tu es d'accord ?
Il a l'air extrêmement surpris, ou alors, il surjoue, je n'en suis pas sûre.
— Oui, pourquoi pas. Je n'ai pas grand-chose à faire le soir, de toute façon. Le ménage est bientôt terminé.
— Parfait. Nous partons tôt, ce soir, dix-neuf heures.
— Je serai prête.
— Oh, et... C'est une soirée assez guindée. Devrais-je t'envoyer chercher quelque chose pour l'occasion ? Ça se fait encore, ou c'est dépassé ?
— Il ne faut pas s'en inquiéter, je suis certaine de trouver quelque chose.
En réalité, je n'en suis pas tout à fait certaine. Je n'ai pas toute ma garde-robe dans ma chambre. Seulement, je ne veux pas renoncer à cette soirée, je suis persuadée qu'après tous les efforts fournis pour ce fameux dîner, j'ai besoin de me détendre. N'importe quoi fera l'affaire.
VOUS LISEZ
Cœur Coquelicot [GxB]
Fanfiction« - Ce... commencé-je avant de chercher mes mots. C'est une proposition sérieuse. - Gail, vous apprendrez que je suis toujours sérieux, appuie-t-il d'une voix grave. Vous voyez ce thé que vous m'avez chaudement servi il y a quelques temps. Je voudra...