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Lovesong - Adele

Anita,
quatre ans plus tôt,
dans une chambre de clinique.

Il y a des fils reliés à moi. Les machines tout autour émettent de légers bruissements quand mon cœur s'affole, à moins que ce ne soit des bips irréguliers qui accélèrent. Henry dort dans le lit à côté du mien. L'infirmière qui est passée m'a dit qu'il avait un traumatisme crânien, qu'il allait s'en remettre, mais il est mon petit frère et je ne peux m'empêcher de ressentir cette puissante culpabilité me ronger jusqu'à l'os.

Mes poignets sont violacés, j'y vois encore la trace de ses doigts. Comme si on les avait peints par-dessus mon épiderme. Ça fait des jours que je ne me suis pas vue dans un miroir, mais je sais déjà que mon œil a pris une teinte violette lui aussi. Il me lance. Tout comme mon ventre, sur lequel je peux sentir les points de suture tirer un peu plus à chaque respiration.

Quelqu'un toque à la porte et mes muscles se tendent, avant que je ne réalise que tout cela est ridicule. Si c'était lui, il ne prendrait pas la peine de se manifester. Et puis, il ne prendrait pas le risque de venir ici. L'inspecteur de police a dit qu'il était étroitement surveillé.

— Entrez.

Ma voix s'étrangle, s'assèche et je m'en étouffe presque. Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas bu, j'ai l'impression d'être la terre du désert qui se craquelle.

Mes parents poussent le battant. Un sourire vient instantanément illuminer mon visage. Je suis soulagée de les voir ici après ce qui est arrivé. Mais je comprends à la posture de ma mère et à celle plus tendue encore de mon père qu'ils ne viennent pas en annonciateurs de bonnes nouvelles.

— Anita.

Je hoche la tête, soudain aussi raide qu'eux. Je sais pertinemment que je ne suis pas la préférée. Henry a toujours été l'enfant chéri. Mais je ne comprends pas pourquoi ils me regardent ainsi. Je n'ai rien fait de mal.

— Comment...?

— Épargne-nous tes politesses, crache mon père.

Coupée dans ma phrase et choquée par le tranchant de ses mots, j'écarquille les yeux.

— Je te demande pardon ?

— Comment as-tu pu embrigader ton frère dans cette histoire ?! éructe ma mère. Il n'est qu'un enfant. Si tu voulais te faire frapper, tu pouvais le faire seule.

Je suis prise d'un soudain vertige, et je ne crois pas qu'il soit dû à l'accident. Je ne comprends plus rien à ce qui arrive, j'ai la sensation que le monde s'écroule sur ma tête.

— Je n'arrive pas à croire que tu aies été aussi égoïste.

À cet instant précis, un gémissement retentit à côté de moi et les draps se froissent, m'offrant le répis nécessaire pour tenter de reprendre contenance. L'attention de me parents se reporte sur Henry qui émerge, le regard encore voilé.

— Maman... Anita n'a rien fait. Elle a essayé de l'arrêter mais...

— Cesse de défendre ta sœur, le coupe mon père. Nous l'avions prévenue, et voilà ce que nous en tirons. Tu as failli tuer ton frère !

Je ne réponds pas, mais je sens un sentiment sourd d'injustice me vriller le cœur. Et moi, dans tout ça ? C'est moi qui étais à l'avant, dans cette voiture. C'est moi qui ai brusquement fait tourner le volant pour l'empêcher de nous emmener je-ne-sais où. C'est moi qui ai pris l'impact de plein fouet.

Et puis, à nouveau, la culpabilité. Froide et visqueuse, elle s'insinue dans mes veines, trois fois plus destructrice qu'auparavant. C'est moi qui ai donné le coup de volant. C'est moi qui nous ai envoyés dans le décor. Mes yeux me piquent et se mouillent quand je réalise que j'aurais vraiment pu risquer de le tuer.

Speed ; VictorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant