Speed ; Victor

34. ✔️

Pray For Me - The Weeknd ft. Kendrick Lamar

Victor,
le lendemain,
Monaco.

Je me frotte le visage des deux mains, encore parcouru par la culpabilité.

J'ai laissé Anita dormir sur le canapé, recouverte de son plaid préféré. Je me suis retiré dans le jardin, avec Barth qui n'a pas quitté nos côtés de toute la nuit. Toutes les heures, il repart faire un tour du bâtiment et des environs pour vérifier qu'aucun détail suspect ne s'est glissé dans le décor.

— Vicky, ça suffit, me rabroue mon meilleur ami. Elle est en sécurité maintenant, arrête de t'en faire.

— J'aurais pu empêcher ça.

— Ah oui, et comment ? En postant des molosses de chaque côté de ta maison ? En envoyant un tueur à gage le buter ? En restant avec elle vingt-quatre heures sur vingt-quatre ?

— Par exemple, grommelé-je.

— Arrête de dire des conneries, tu as un job et elle aussi, tu ne peux pas être avec elle à tout heure du jour et de la nuit ou en la couvant comme ça.

— Mais j'aurais dû mieux la protéger, insisté-je, rongé par l'impression de ne pas en avoir fait assez.

— Tu ne connaissais même pas l'existence de ce type, et vu l'état dans lequel elle était, même Anita ne s'attendait pas à le voir. Ce n'est pas ta faute, Victor. Elle te le dira mieux que moi.

— Mais si j'avais su...

— Exactement. Si tu avais su. Or ce n'est pas le cas. Comment tu aurais pu croire un seul instant que ce malade mental viendrait jusqu'ici pour la harceler ?

Je reste mutique plusieurs minutes, à ressasser chaque élément qu'Anita aurait pu dire et m'aiguiller sur le rôle de ce type dans sa vie. Mais j'ai beau chercher... si Anita veut vous cacher quelque chose, elle ne vous divulguera rien de son propre chef.

Et puis, ça me revient.

Sa mère, au marige d'Henry, avait fait référence à un Lenny. Ma copine s'était décomposée à l'entente de son nom, comme si ces cinq petites lettres suffisaient à lui créer des sueurs froides. Comme si elle le craignait. Et elle a beau ne pas avoir le mental d'un militaire, elle n'en aurait pas peur à ce point sans raison. Ce qu'il s'est passé hier le confirme. Ce mec est un taré. Un taré qui veut s'en prendre à ma dessinatrice, encore une fois.

Un petit ami, donc ? Maintenant, ça me semble évident. Selon Henry, il y a plusieurs années déjà qu'elle a laissé ses parents derrière elle. Ce qui veut dire qu'elle a connu ce gars pendant son adolescence.

— Je vais rentrer, soupire Barth, résigné à l'idée que je ne suis pas prêt à quitter cette culpabilité. Il faut que je me change et que je prenne une douche. Tu devrais en faire autant. Tu pues encore le Dom Pé'.

Je le salue distraitement avant de me rengoncer dans mon fauteuil. Je guette la baie vitrée du salon, mais elle est toujours allongée, immobile, sur le canapé. Les pieds nus dans le gazon, j'avance entre les arbres en essayant de me vider la tête. Je suis un imbécile. J'aurais dû me douter que les choses ne se dérouleraient pas comme prévues.

Je me laisse guider par mes pas qui me mènent directement à la piscine dans laquelle je m'immerge immédiatement. L'eau est jonchée de feuilles mortes et plutôt glacée, et je vais probablement attraper le pire rhume de ma vie en ressortant. Nous avons beau être en mai, les températures ne se sont pas encore totalement réchauffées, même pour Monaco. Flottant à la surface, je vais au gré des mouvements amorphes de la brise qui me pousse dans l'eau. J'ai beau essayer de me changer les idées, il n'y a qu'un seul mot qui tourne en boucle dans ma tête.