"Baby, I know you love me"
Lee
Elle s'évertua à sourire tout en ouvrant la porte. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était disparaître. Non. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était qu'il disparaisse. Une déception fugace traversa le visage de Trevor comme un éclair déchire la nuit, avant d'être englouti par l'obscurité ; y laissa néanmoins des traces que Lee ne put s'empêcher de remarquer. Il s'excusait de la déranger de façon si soudaine lorsqu' elle l'interrompit :
« Qu'y-a-t-il ? » Il l'observa sans comprendre. « Tu as fait une drôle de tête, à l'instant. Pourquoi ? »
Les yeux de Trevor se posèrent sur sa jupe, qui tombait quelques centimètres au-dessus de ses chevilles.
« Eh bien, je croyais...Disons que je suis un peu décontenancé, tu es bien différente de celle que j'ai rencontrée au Mad . Je pensais que tu avais complètement succombé à la mode des flappers. Mais peut-être es-tu de celles que l'on appelle les semi-flappers ? » ajouta-t-il en souriant. « J'ai entendu ce terme, il y a peu et –
— Je suis multiple et infinie », le coupa-t-elle sèchement.
Le bébé de Vanessa s'égosillait dans son dos – pour la simple et bonne raison que Vanessa se tenait dans son dos, son bébé hurleur dans les bras, sans se gêner une seule seconde pour écouter leur conversation. Lee lui jeta son regard le plus assassin, ferma la porte, entraîna Trevor dans la rue. Elle ignora les miaulements incessants d'Oscar – le chaton qui rôdait dans le secteur et qu'elle nourrissait religieusement tous les matins – et Trevor s'amusa de la chose, lui rappelant le surnom dont elle l'avait affublé quelques soirs auparavant.
« Cela n'avait rien d'affectif, le prévint-elle, je déteste les chats. Ils sont sournois, et opportunistes, et égoïstes, et ne possèdent pas le moindre sens de loyauté. » Oscar lui frôla le mollet et elle se pencha pour lui caresser la tête. « Pourquoi es-tu venu jusqu'ici ? ».
Elle tenta bien de ne pas faire sonner ses interrogations comme des reproches, mais elle se sentait si mal à l'aise, si peu autorisée à discuter avec lui ainsi, devant la maison de Charles, au beau milieu de cette sordide ceinture noire [1], qu'elle aurait bien pu lui crier de déguerpir sur-le champ si seulement elle avait succombé à ses instincts.
« Oh, parce que tu as oublié ça hier soir. J'imagine que tu as dû le faire tomber. »
Il sortit de sa poche quelques feuilles de papier pliées en huit, et elle se maudit de devoir tendre ses doigts tachés d'encre pour les attraper.
« Je n'ai pas cherché à savoir ce que c'était, lui assura Trevor, promis, juré. Mais j'ai pensé que ça pouvait être important, et...
— Et ? »
Autour d'eux les regards se faisaient insistants. Le petit Jones, filant sur son vélo chargé d'un télégramme, le menton en biais pour les épier sans subtilité. Madame Mitchell, sur son perron, quelques maisons plus loin, un balai entre les mains. Lorgnant en leur direction toutes les trente, puis vingt, puis dix secondes.
« Et j'avais très envie de te revoir. »
La peau de Lee s'empourpra, mais elle se recula vivement lorsque le bras de Trevor amorça un mouvement en sa direction. Sa main chercha sa joue, resta un bref instant suspendue en l'air, retomba mollement.
« Pourquoi ne pas poursuivre cette conversation plus tard, au Mad ? proposa-t-elle. Ce soir ? »
Désorienté, Trevor finit par hocher la tête, et elle le quitta d'un pas pressé pour regagner les murs réconfortants de sa maison. Tout serait plus simple au cirque, songea-t-elle en retrouvant son calme, beaucoup plus simple. Les fous ne jugeaient pas leurs semblables.
VOUS LISEZ
Cyrielle
General FictionOxford, Angleterre, 1998. Cyrielle, dix-neuf ans, entre en première année de droit dans la prestigieuse université d'Oxford. Lorsqu'elle entend parler de fraternités secrètes et d'une dangereuse compétition qui se jouerait entre les murs de l'école...