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Elle sortit de l'hôpital deux jours plus tard. Avant Hoffman, à qui elle n'avait pas eu le courage de rendre visite. Une sensation de déjà-vu désagréable lui collait au corps. Un besoin d'air en permanence, si intense qu'elle avait oublié comment respirer sans suffoquer.
Le soleil s'était couché sur le campus depuis un moment et les lampadaires avaient pris le relai. Cyrielle se versa un peu de sa potion dans un gobelet en plastique, quitta sa chambre, déambula dans les couloirs déserts jusqu'au jardin et s'assit à même l'herbe fraîchement coupée. Serra le breuvage entre ses paumes comme pour y puiser de l'énergie.
« La consommation d'alcool est formellement proscrite sur la voie publique. Marcher sur la pelouse aussi, accessoirement.
— Va te faire foutre, Laurie. »
Il souriait timidement. Elle, non.
« Colle-moi une pénalité si ça te chante. Avec un peu de chance ils m'expédieront loin d'ici. Je croyais que tu ne supportais pas l'odeur de ces machins ? ajouta-t-elle en désignant de l'index le cigare qu'il tenait à la main.
— Oui, c'est vrai. » Il n'osait pas s'approcher d'elle. « Je n'ai pas l'intention de le fumer, je l'ai emprunté à Metzinger pour... Eh bien je ne sais pas trop, en réalité. Me sentir davantage comme quelqu'un qui sait ce qu'il fait, j'imagine. »
Les battements de cœur de Cyrielle ralentissaient un peu plus à chaque fois qu'un mot s'échappait des lèvres du garçon. Quelle genre de magie noire pratiquait-il ? Elle le maintenait à distance par la froideur de ses mots mais tout ce qu'elle voulait, c'était se jeter à son cou et le remercier, car plus rien ne semblait perdu d'avance, plus rien ne semblait lui causer la moindre souffrance, depuis qu'il était apparu sur le sentier, sublime et maladroit, un cigare éteint entre les doigts. Laurie Greenfield ne pouvait pas être totalement humain. Il était un aimant. Il attirait à lui les maux trop lourds pour être supportés par les mortels. En y prêtant un peu attention, pourtant, il était possible de le voir flancher lui aussi, de le voir faiblir lui aussi. Si seulement on l'observait assez longtemps. Il pliait les genoux en un mouvement imperceptible, le temps d'accueillir une nouvelle peine, un nouveau problème, le dernier des malheurs enfantés par l'univers, et puis se redressait aussitôt ; plus grand de quelques millimètres. Du moins jusqu'à présent. Cyrielle se remémora l'éclair de folie passagère dans ses yeux et songea que par sa faute, il avait bien failli ne plus jamais se relever.
Elle s'accrocha à son verre tout en s'interdisant de le regarder. Le monde s'était mis à tourner de travers.
« Il faut qu'on parle », lui annonça-t-il, et cela la poussa à avaler une gorgée de son poison au sale goût de cerise.
Il n'était plus aussi doux qu'avant, plus aussi sucré, plus aussi efficace. Cyrielle ne ressentait même plus sa chaleur. Elle était devenue insensible aux flammes.
« Hoffman va bien », riposta-t-elle comme si cela couperait court à la conversation.
Le Préfet acquiesça sans fougue.
« Il n'a aucun souvenir de cette horrible nuit. Il paraît que toi non plus. Je t'en supplie, arrête de boire ce truc. » Il avait haussé le ton et elle releva le menton, décollant avec peine du gobelet ses lèvres collantes de sel. « Je me doutais bien que c'était faux.
— Laurie, je suis désolée. Si terriblement désolée. » Elle ravala ses larmes, tâcha de rester digne. « Je n'ai jamais voulu t'entraîner là-dedans.
— J'aimerais juste comprendre. » Il foula doucement la pelouse interdite et s'accroupit devant elle. « Il faut que je sache, si je veux t'aider au mieux.
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Cyrielle
Художественная прозаOxford, Angleterre, 1998. Cyrielle, dix-neuf ans, entre en première année de droit dans la prestigieuse université d'Oxford. Lorsqu'elle entend parler de fraternités secrètes et d'une dangereuse compétition qui se jouerait entre les murs de l'école...