« Je vais compter jusqu'à trois, annonça-t-elle très tranquillement, sans rouvrir les yeux. Si au bout du décompte tu n'es pas redescendue sur Terre parmi tes pauvres semblables pour nettoyer le désordre que tu laisses derrière toi partout où tu passes, je jure devant Dieu que je signerai tous les formulaires qui existent sur cette maudite planète pour t'envoyer en pension dès ce soir. »
Aucun mot, dans sa longue tirade, n'avait été prononcé plus haut qu'un autre. Pourtant, Bennett stoppa net tout mouvement. Elle savait qu'avec Tante Joan, il fallait se méfier davantage du calme que de toute autre manifestation de son Apocalypse. Ses colères étaient glaciales. Tant qu'elle vociférait, inutile de s'inquiéter. Ou du moins, de s'inquiéter pour autre chose que son capital auditif. Mais toujours se méfier du calme. Et fuir, fuir aussi loin, aussi vite que possible au moindre silence. Tout doucement, la fillette abandonna sa mission et descendit de la table. Lorsque sa tante osa de nouveau poser les yeux sur sa nièce, cette dernière tenait à la main un balai et sans un bruit, s'affairait à réparer ses dégâts.
La pension était la pire des menaces proférées sous ce toit. Bien sûr, Bennett n'ignorait pas, tout comme Joan, que personne ne pourrait l'envoyer nulle part sans que son père donnât son accord en amont. Mais Joan savait se montrer très persuasive. Elle avait un jour convaincu leurs voisins de se séparer de leur chien - une adorable boule de poils que Bennett et Joey aimaient promener contre un billet d'un dollar chacun - pour la seule et unique raison qu'elle ne tolérait pas de l'entendre aboyer tous les matins à l'arrivée du facteur, qui coïncidait avec l'heure de sa sieste, trop sacrée pour être perturbée par quoi que ce soit. Terrible, Joan était terrible. Injuste. Tyrannique. Et pour Bennett, tout bonnement insupportable.
Si jusqu'à présent, son père l'avait toujours défendue corps et âme contre toutes les tempêtes du monde, y compris la tempête Joan Marguerite Spencer, mieux valait tout de même ne pas tenter le diable. À son âge, Bennett ne possédait que très peu de certitudes ; là-dessus, pourtant, elle ne concevait pas le moindre doute : elle ne survivrait pas à la pension. Elle ne survivrait pas, si loin de Somerville, si loin de sa sœur et de cet idiot de Joey. L'idée d'être envoyée en prison, en comparaison, lui paraissait bien plus douce. Tant qu'elle ne quittait pas l'État, ils pourraient au moins lui rendre visite de temps en temps. Lui apporter son lot de romans et peut-être un peu de ces bonbons ultra colorés qui lui piquaient la langue, mais qu'elle aimait tant. Lui raconter des histoires et l'écouter se plaindre des repas infects de la cantine carcérale. La prison, dans son esprit d'enfant, ne lui semblait pas si atroce. Tout, tout, tout, sauf la pension.
Elle ne survivrait pas, si loin de Joey.
« Pour ton information, jeune fille, tout ce qu'il reste des décorations d'Halloween a été rangé dans des cartons et monté au grenier, décréta sa tante tandis que Bennett s'attaquait désormais au nettoyage de la table. Ce que tu saurais si tu nous avais aidées, ta sœur et moi, à faire le tri au printemps dernier.
- Comment ça, ce qu'il en reste ?
- La majeure partie a été donnée à des associations de quartier. Je ne voyais pas l'intérêt de tout garder, maintenant que vous êtes grandes, toutes les deux, mais Alyssa a dit que c'était la fête préférée de votre mère, alors...
- La majeure partie..., répéta Bennett au bord de la crise de nerfs. Mais enfin pourquoi... comment...» Les mots ne sortaient pas dans le bon ordre. Les phrases n'étaient pas prêtes. « Est-ce que Ted est au courant ?
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Cyrielle
General FictionOxford, Angleterre, 1998. Cyrielle, dix-neuf ans, entre en première année de droit dans la prestigieuse université d'Oxford. Lorsqu'elle entend parler de fraternités secrètes et d'une dangereuse compétition qui se jouerait entre les murs de l'école...