"I love you only, but it's making me blue"
Lee
L'attirer dehors fut un jeu d'enfants. À la différence près qu'ici, personne ne riait ; et tout le monde perdrait.
Chloé était sa danseuse préférée. À chaque fois il fallait qu'il tente sa chance, à chaque fois il fallait qu'il essaie, de la séduire, la conquérir, à chaque fois il semblait y croire un peu plus bien qu'il ne lui inspire que du dégoût et qu'elle soit très peu douée, vraiment très peu douée pour la comédie. Ce soir-là il aurait dû se méfier. Repérer les signes. Pourquoi lui souriait-elle autant, tout à coup ? Pourquoi trouvait-elle ses plaisanteries si drôles ? Ses doigts l'avaient-ils effleuré par mégarde, lorsqu'elle était passée près de lui, ou l'avait-elle fait exprès ? Quand elle l'autorisa à l'enlacer, qu'elle l'embrassa à pleine bouche, manquant bien de l'électrocuter, le doute ne fut plus permis. Et au lieu de se deviner pris au piège, Antoine se laissa transporter au paradis.
Chloé le poussa sans ménagement dans la ruelle, et il ne saisit toujours pas. Un sourire resta accroché à ses lèvres longtemps après qu'il ne quitte celles de Chloé. Et puis il disparut tout à fait, en un soupir, lorsqu'enfin il aperçut l'ombre de la silhouette de Lee se dessiner sous la pâle lumière d'un lampadaire. Alors il sut, n'est-ce pas ? Même lui n'était pas assez idiot pour ne pas comprendre que cette fois, il ne survivrait pas à cette vision.
« Nous voilà donc de retour par ici », railla-t-il.
En s'approchant, Lee fut surprise de le constater si abîmé. Le nez gonflé, les joues éraflées, une croûte disgracieuse pendue à son arcade sourcilière gauche. Comment avait-il pu croire que de tous les soirs, celui-ci serait celui de l'obtention de son ticket gagnant pour les montagnes russes de Chloé ? Il faisait peur à voir. Sentant le poids de son regard, il leva les yeux au ciel.
« Comme de toute évidence tu te poses la question : c'est à ton petit ami, que je dois ce ravalement de façade. Il paraît néanmoins que cela me donne un certain charme. »
Les traits de Lee se fendirent d'un sourire.
« Et dans quel état se trouve-t-il, lui ?
— Dans son état habituel. Beau comme un bébé. Qu'est-ce que tu crois, Leroux ? Je sais bien que j'ai mérité sa colère. Je l'ai laissé me frapper sans me défendre.
— Mérité sa colère ? reprit-elle, indignée. Si tu étais vraiment conscient de ce que tu as fait, tu ne te tiendrais pas là, face à moi. Tu ne daignerais pas te montrer par ici, tu fuirais le cirque, tu fuirais même la ville.
— Mais enfin je ne suis pas responsable ! s'offusqua-t-il à son tour. Rien n'était censé se dérouler comme ça, ce n'est tout de même pas de ma faute, si les choses ont dégénéré à ce point. Ils sont cinglés, dans le Sud ! Si tu tiens tant à blâmer quelqu'un, tu n'as qu'à piocher dans le lot, quelque part par là-bas. »
Lee retira le cran de sûreté de son revolver et le pointa droit sur lui. Des larmes chaudes coulaient à flots sur ses joues. Dans leur sillage se dessinaient des traînées noires de maquillage et de honte.
« Nous voilà donc de retour par ici », répéta Antoine, cette fois d'une voix plus douce.
Plus calme, comme insensible à toute peur.
« Il y a une certaine beauté dans cette circularité, tu ne trouves pas ? remarqua-t-il. Il faut bien le reconnaître. Tout ce qui s'est déjà produit est voué à se reproduire. J'imagine que ça aide, le moment venu. De savoir qu'il se représentera peut-être une seconde chance, pour tout ce qu'on a manqué. Tout ce qu'on a raté. »
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Cyrielle
Algemene fictieOxford, Angleterre, 1998. Cyrielle, dix-neuf ans, entre en première année de droit dans la prestigieuse université d'Oxford. Lorsqu'elle entend parler de fraternités secrètes et d'une dangereuse compétition qui se jouerait entre les murs de l'école...