Chapitre 10 : I'm howling - 2/2 {Cyrielle}

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Déjà atteignait-elle les rues d'Oxford ; elle ne se souvenait même pas avoir traversé les couloirs de l'université. Elle pestait encore sous cape lorsqu'elle entendit des pas dans son dos. Elle accéléra son rythme, envisagea de courir, courut vraiment, s'essouffla au bout d'une trentaine de secondes, revint à sa vitesse initiale. Pesta de plus belle. Laurie – car c'était Laurie, bien sûr, la poursuivant comme il poursuivait toutes ses ouailles, depuis son haut et ridicule piédestal de Préfet – la rattrapa presque aussitôt.

« Où est-ce que tu vas ?

— Prévenir l'administration, rétorqua la jeune femme sans cesser de marcher. Tu n'as pas entendu ? Je raccroche. Je refuse de passer une minute de plus dans cette ville. »

Ce pays. Cette vie.

« Ce serait commettre une erreur.

— Qui ne sera pas la première. Ni la pire, d'ailleurs. Je te rassure, on survit à tout. Et puis tu sais quoi ? Je n'ai pas besoin de ton jugement, qui t'a demandé ton avis ? J'assume chacun de mes choix. J'assumerai chacun de mes choix.

— Cyrielle, je crois que tu ne te rends pas compte de ce que tu dis. De ce que tu fais. Tu as été acceptée dans l'un des meilleurs établissements du monde, et te voilà prête à envoyer valser les promesses d'un avenir radieux sous le coup de... quoi ? Un accès de colère enfantin, voilà. Rien de plus. Cyrielle ! »

Il pressa le pas. La dépassa complètement. Fut distancé de nouveau.

« Cyrielle ! Si tu frappes à la porte du Doyen, je me jetterai devant toi et tu devras littéralement me passer sur le corps. M'escalader, m'écraser, la totale.

— Voilà la première chose intéressante qui s'échappe de ta bouche depuis que tu me cours après. »

Elle marchait sans savoir où elle allait. Pour l'heure, peu importait la destination. Une chose était certaine, la seule qui comptait : chaque pas l'éloignait un peu plus des locaux de cette université de malheur. Et ce malgré sa promesse initiale de rejoindre derechef le bâtiment administratif. Tant pis. Tant mieux ? Laurie ne chercha plus à la conseiller et se contenta de la suivre en silence tandis qu'intérieurement, elle continuait de bouillonner.

De grands arbres succédèrent peu à peu aux maisons en brique orange et après avoir traversé un pont en pierre, ils atterrirent à l'entrée de Port Meadow. Là-bas l'immensité des pelouses fit naître en Cyrielle des envies de hurler, de crier des sons dénués de sens, des injures au futur, des excuses inutiles, de tout évacuer. Et tout laisser sur place. Or le Préfet l'accompagnait toujours et sa présence rendait la tâche impossible. Les chaînes étaient trop lourdes, la cage trop serrée, la honte était trop grande. Alors en désespoir de cause elle se tourna vers lui et lui exposa les faits en pleine figure.

Lui explosa en pleine figure.

« Tu veux savoir ce qu'il se passe ? Tu veux comprendre ? Les Jupiters se sont mis en tête de saborder les autres groupes, voilà ce qu'il se passe ! Ils récoltent un maximum d'informations plus ou moins utiles sur chacun des membres des autres fraternités, sur chacune des affaires, pour les faire tomber comme des mouches les uns après les autres. Voilà ce qu'il se passe, monsieur le Préfet, dans la plus prestigieuse université du monde, comme tu dis. Et quand j'ai résisté, quand je me suis indignée, on ne s'est pas gêné pour me faire savoir que c'est comme ça que tout le monde joue depuis la nuit des temps. Cyrielle et ses principes, pas vrai ? Cyrielle la rabat-joie, dont les idées n'intéressent plus personne bien qu'elles soient meilleures que les leurs. Un commentaire, Laurie ? Ou est-ce que comme d'habitude, tu ne peux rien dire ? Que pourrais-tu dire, alors que tu félicitais les jumeaux pour l'une de leurs sordides trouvailles pas plus tard que tout à l'heure ?

CyrielleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant