« Tout doux », souffla-t-il en reculant d'un pas.
Son pied ne fit aucun bruit en se reposant sur le goudron. Il semblait flotter au-dessus du sol. Ils semblaient tous suspendus, en réalité. Égarés dans un lieu à part qui échappait aux lois élémentaires du temps et de l'espace. Peut-être étions-nous tous envoyés là-bas, quelques minutes avant de mourir.
« Je vais ôter ma montre. » Il murmurait toujours. Ses bras s'étaient levés au-dessus de ses épaules, un peu par réflexe, beaucoup pour la rassurer. « D'accord ? Pas de mouvement brusque. Promis. Je vais juste retirer ma montre. »
Elle le laissa faire, ne comprenant pas où il voulait en venir. Hypnotisée par le son de sa voix, qui aurait apaisé le plus sauvage des monstres. Il lui présenta le bracelet en cuir et d'un geste du menton, l'invita à s'en saisir.
« C'est la montre de mon grand-père, elle vaut plus que ce que mon ami vous doit. Mais surtout, j'y tiens. J'ai failli perdre un œil et une jambe, une fois, parce que j'ai poursuivi tout seul une bande de voyous qui me l'avaient arrachée du poignet. Quatre contre un. » Le souvenir le secoua des pieds à la tête ; il sourit malgré lui. « Je serais mort comme un demeuré, pour ce truc, mais croyez-moi sur parole : sans regret.
— Comment cela s'est-il terminé ?
— L'abruti ici présent avait assisté à la scène. Sur le moment il n'a pas compris pourquoi je me mettais à courir comme un dératé. Puis il a rappliqué avec des amis à nous.
— Et vous a sauvé la vie. »
Trevor acquiesça en silence, un sourire plus franc sur les lèvres.
« L'inverse se produit néanmoins beaucoup plus souvent, je tiens à le préciser. »
Lee souriait presque, elle aussi. Il y avait quelque chose de touchant dans la vision de ces deux hommes qui s'aimaient comme des enfants. Elle tendit la main pour attraper la montre. Tenta de l'examiner dans la lumière des rayons de lune.
« Prenez-la comme un gage », lui demanda Trevor tandis qu'elle la tournait, la retournait, la retournait encore, pour vérifier qu'il n'essayait pas de l'arnaquer.
L'objet était ancien, aucun doute là-dessus. Précieux ? Cela serait plus difficile à affirmer. Les hommes comme eux aimaient briller. Parader dans des costumes voyants, s'accompagner de femmes qui se remarquaient, porter de l'or qui aveuglait leurs interlocuteurs à la moindre altercation avec le soleil. Mais tout n'était pas toujours réel.
« Demain je reviendrai avec l'argent et vous me rendrez ma montre. »
Tout n'était pas toujours vrai.
« Deal ? »
Lee resta silencieuse encore un instant. Puis recula d'un pas. Et ne lâcha qu'un seul mot :
« Partez.
— Non non non, j'ai besoin d'entendre de votre bouche que nous avons un accord. C'est comme ça que ça marche. On donne sa parole, sinon ça ne vaut rien.
— Ah oui ? Comme, par exemple, quand on promet de rembourser sa dette dès le lendemain et qu'on se pointe le moment venu sans un sou en poche ? »
Antoine leva les yeux au ciel. Trevor hochait la tête dans de légers mouvements mécaniques qui trahissaient son inquiétude. Sur ses traits, cependant, une apparente satisfaction avait conquis tout le terrain. Lee soupira, avant de se répéter :
« Partez, je vous dis. Tirez-vous d'ici avant que je ne change d'avis. »
Trevor jeta un ultime coup d'œil à sa montre, prise au piège de mains étrangères, et daigna enfin reculer. Sans lui tourner le dos, au début. Et puis en arrivant au niveau d'Antoine, il empoigna le bras de ce dernier sans ménagement, le força à se retourner avec lui, et l'entraîna d'un pas pressé loin de tout ce cirque.
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Cyrielle
Fiction généraleOxford, Angleterre, 1998. Cyrielle, dix-neuf ans, entre en première année de droit dans la prestigieuse université d'Oxford. Lorsqu'elle entend parler de fraternités secrètes et d'une dangereuse compétition qui se jouerait entre les murs de l'école...