Chapitre 12 : In the heat of the moment - 2/3 {Bennett}

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Il était évident que Joey n'en croyait pas ses oreilles. La surprise dans son regard la faucha avec une violence digne du laser de Cyclope.

« Bien sûr que non, se défendit-il avec une feinte indolence. Comme si c'était mon genre. T'es complètement maboul, faut te faire soigner.

— C'est quand même sacrément étrange, insista Bennett, l'esprit trop en ébullition pour réussir à se contenir, faire machine arrière, nuancer son réquisitoire, réfléchir, que tu te sois rendu aux toilettes quelques secondes avant qu'Oncle Danny disparaisse, et quelques minutes avant que sa sentence ne tombe. Vous avez un signe secret, c'est ça ? Qui vous permet de communiquer discrètement sans que je m'en rende compte ? Tu lui as tout raconté, j'en suis sûre. Tu n'es pas croyable.

Moi, je ne suis pas croyable ? » Adieu, l'indolence. « Mais enfin tu m'accuses sans preuve ! De toute façon je t'avais bien dit de ne pas venir ici. Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même.

— Exactement ! »

Il haussa un sourcil, sans doute surpris qu'elle acquiesce aussi vite. Avant de déchanter à vue d'œil en entendant la suite.

« Tu ne voulais pas venir ici, et pour te venger de ne pas t'avoir écouté, tu m'as... Tu m'as balancée ! »

Elle cracha ce mot sur le comptoir, ce mot qui aurait pu appartenir à une langue étrangère tellement il sonnait faux, semblait fou, tellement il lui était incompréhensible, inconcevable, impossible. Le plus horrible des crimes ; la plus laide des injures.

« Tu m'as trahie. Tu...

— Du calme, du calme, la furie, s'amusa Danny en tapotant son épaule, laisse le pauvre homme respirer, tu ne vois pas qu'il est tout blanc ? Il est parfaitement innocent. »

Se penchant pour faire pivoter le tabouret de sa nièce, il l'obligea à lui faire face.

« Tu crois que ton paternel est stupide ? Il m'a prévenu de toutes les nouvelles règles auxquelles tu dois te plier. Il savait bien que tu n'allais en faire qu'à ta tête.

— Et tu as ordre de me renvoyer à la maison, soupira Bennett.

— À vrai dire, j'avais ordre de ne pas te laisser passer ma porte d'entrée, mais j'ai jamais été très docile. » Il sourit, mais Bennett n'avait pas la force de lui rendre la pareille. « Maintenant sois mignonne et rentre chez toi, d'accord ? Et sans faire de détour.

— Vous auriez pu intervenir plus tôt, broncha Joey en descendant de sa chaise, tandis que Bennett s'éloignait déjà et ne pouvait presque plus les entendre. Au lieu de la laisser me hurler dessus.

— J'aurais pu, oui », se contenta de répondre Danny, sans perdre une once de l'éclat dans son regard.

Danny était le seul à ne jamais se plaindre du caractère de feu de Bennett. Au contraire. Il s'amusait toujours de voir s'embraser autour d'elle la moindre parcelle de monde en contact direct ou indirect avec sa peau. Si c'était dans ses cordes, il se débrouillait même pour être aux premières loges.

***

Bennett était toujours fâchée en sortant du restaurant. Mais plus vraiment contre Joey. Ou plutôt, plus uniquement contre Joey. L'univers tout entier lui semblait inhospitalier, et bien qu'elle l'aime un peu plus que la grande majorité des choses qu'il contenait, Joey en faisait tout de même partie. Ce dernier refusait de lui adresser la parole depuis qu'elle l'avait accusé.

Depuis qu'elle avait douté de lui.

Ils se disputaient rarement. Ne se disputaient jamais, en réalité, tout en se disputant tout le temps. Boudaient parfois en même temps, ce qui amusait beaucoup Ted. Les voir se déplacer ensemble d'un bout à l'autre de ce monde sans même un regard l'un pour l'autre, comme s'ils évoluaient dans deux dimensions parallèles inconscientes l'une de l'autre, mais liées à tout jamais, était selon lui le plus comique des spectacles.

Généralement, personne ne s'excusait. Pas avec des mots, du moins. Ils étaient encore assez jeunes pour n'avoir pas besoin de mots. La plupart du temps un regard suffisait. Ou un ennemi commun contre lequel faire front – Joan, bien sûr ; Joan, neuf fois sur dix.

Ou de la fumée noire, planant au-dessus des toits.

« Tu aperçois ce que j'aperçois ? » lui demanda Joey.

Ils s'étaient arrêtés presque au même moment. Et se lancèrent sans se concerter dans une course folle en direction du bâtiment qui s'enflammait.

À aucun moment, pourtant, Joey et Bennett ne virent la même chose. Joey contemplait un immeuble en feu, Bennett avait les yeux rivés sur la première mission de sa Brigade. Une vraie mission, cette fois. Enfin.

« Les pompiers ne sont pas là, murmura-t-elle en levant la tête vers ce ciel qui virait au gris, et Joey lui jeta un regard horrifié en décelant de la joie dans sa voix.

— Ils seront là d'une minute à l'autre », lui rétorqua-t-il.

Un petit attroupement de curieux s'était formé devant le bâtiment, immeuble de cinq étages en briques rouges. Les résidents s'étaient postés aux fenêtres, guettant l'arrivée des secours. Tournant la tête, de temps à autre, pour s'assurer que les flammes ne sonnaient pas encore à leur porte. Sur le trottoir, le mot explosion voyageait autour d'eux, d'une paire de lèvres à une autre. Personne ne savait qui, au juste avait lancé la rumeur. S'il ou elle avait réellement assisté à la moindre explosion. Le bâtiment, en tout cas, tenait toujours debout. Pour l'instant.

« Ils disent qu'il y avait un homme, derrière une fenêtre, et qu'il a disparu », l'informa Joey en chuchotant. De l'index, il désignait discrètement un homme et une femme, sur leur gauche, qui échangeaient en italien. « Deuxième étage. Non, attends. Troisième. Troisième étage.

— Ce n'est pas normal. S'il est chez lui, il aurait dû ouvrir la fenêtre comme tous les autres. »

Elle entraîna Joey à sa suite et contourna le bâtiment.

« S'il te plaît, garde mon sac, lui demanda-t-elle au pied de l'escalier de secours.

— Pourquoi ?

— Parce que je ne peux pas entrer avec, j'ai "Harry Potter et la Chambre des Secrets", dedans, je ne veux pas prendre le risque qu'il lui arrive quoi que ce soit.

— Mais bien sûr, confirma Joey en hochant lentement la tête. Il est , le risque, hein. Évidemment. Tu ne vas quand même pas entrer dans un immeuble en flammes avec un livre dans ton sac.

— Exactement. »

Bennett faisait semblant de ne pas percevoir son ironie. Ils n'avaient pas le temps pour les sarcasmes.

« Mais file-moi le tien. Ton sac de sport, précisa-t-elle en le voyant hausser les sourcils. Je vais avoir besoin de ta batte de baseball. Pour briser le verre de la fenêtre, une fois là-haut. Faut-il vraiment tout t'expliquer ?

— Il vaudrait mieux, ouais. M'expliquer avec le plus de détails possible ce que tu t'apprêtes à faire, parce que j'ai bien l'impression que tu me parles de grimper sur un bâtiment en feu pour aller secourir un type qu'on n'a jamais vu, et qui peut-être n'existe même pas, mais je dois être cinglé, pas vrai ? Pour imaginer un truc pareil. »



CyrielleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant