« À rien. »
Il était bien trop tôt pour réfléchir. Pour inventer une réponse et éviter les questions. À passer le temps, voilà à quoi cela servait. À chasser les cauchemars. À rester libre.
À survivre.
Laurie sauta du lit sans lâcher le verre, et se dirigea vers son armoire. Souleva doucement ses pulls en laine – avec une certaine ironie, il semblait ne rien vouloir déranger –, en extirpa la bouteille de liqueur à moitié vide.
« Et ça ?
— Tu as fouillé dans mes affaires. »
Ce n'était pas une interrogation, juste un constat. Son ami savait précisément où déterrer ses cadavres. Il avait probablement passé des heures à genoux, cette nuit, pendant qu'elle retrouvait la paix. Les mains dans la boue. À creuser en silence, sans craindre de se salir. Il y avait sous ses ongles noirs les fragments de la confiance que Cyrielle lui portait. Il avait tout détruit.
Mais s'il avait ressenti le moindre regret à cet égard, à un moment ou un autre, ces derniers avaient dû être avalés par les poches de fatigue, sous ses yeux, si gonflées qu'elles semblaient prêtes à éclater. Car ni sa main ni sa voix ne tremblaient. Il ne chercha pas à nier. Pas même à se justifier. Il parut ne pas trouver cela important.
« Depuis quand est-ce que ça dure ? Depuis ton arrivée ici ? »
Cyrielle bondit sur ses deux jambes. Elle luttait à présent contre une envie de lui arracher la bouteille, sa bouteille, qu'il retenait toujours prisonnière de ses doigts, pour l'écraser contre un mur ou sur le sommet de son crâne ; la fracasser une bonne fois pour toutes sur les parois de la fosse aux souvenirs.
« Sale petite fouine, cracha-t-elle entre ses dents. Tu as fouillé dans mes affaires pendant que je dormais. »
Elle s'exprimait lentement, pour ne pas exploser. Lui laisser le temps de la contredire. Elle aurait tout donné pour que tout soit faux.
« Comment as-tu pu oser me faire une chose pareille ?
— Cyrielle, je peux t'aider. Il suffit de me dire –
— Je n'ai pas besoin d'aide ! »
Elle rassembla les affaires du garçon pour les lui rendre. Il fallait qu'il s'en aille. Vite. Dans la précipitation, elle se cogna contre sa table de chevet, qui chancela, bascula, s'effondra. Le choc fit tomber son édition reliée et signée de L'Attrape-cœurs. Le roman s'ouvrit face contre terre ; les pages qui amortirent la chute s'écornèrent sur le coup. Laurie s'avança pour le ramasser, mais elle l'arrêta net dans son élan.
« Si tu touches à quoi que ce soit, à quoi que ce soit d'autre, ici, qui ne t'appartienne pas, je jure que je t'arracherai le cuir chevelu avec mes dents.
— Cyrielle... »
Il se baissa tout doucement, si lentement que l'espace d'un instant, il tint plus du mime que de l'homme, suspendu en apesanteur aux lèvres de son amie. Craignant le moindre geste brusque de sa part. Il posa sur la moquette la bouteille à sa droite, le verre à sa gauche.
« Cyrielle, j'ai été curieux, c'est vrai, mais je jure que je ne voulais pas te faire du mal. Pardonne-moi, je n'aurais pas dû. »
Il maintenait ses mains devant lui pour lui prouver qu'il était redevenu inoffensif. Ou peut-être pour se protéger contre elle. Contre le monstre en lequel elle se sentait se métamorphoser un peu plus à chaque minute, exposée de la sorte. Elle coinça ses cheveux ébouriffés derrière ses oreille, tâcha de se concentrer sur sa respiration pour recouvrer son calme. Laurie se tut pendant une longue minute et elle fut incapable d'habiller le silence.
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Cyrielle
Ficción GeneralOxford, Angleterre, 1998. Cyrielle, dix-neuf ans, entre en première année de droit dans la prestigieuse université d'Oxford. Lorsqu'elle entend parler de fraternités secrètes et d'une dangereuse compétition qui se jouerait entre les murs de l'école...