•Chapitre 13•

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Je descends les escaliers principaux avec Léopold sur les talons, discutant de ce que nous venons de découvrir.

« Mais attends Charlène, comment peux-tu être sûre que ce n'est pas tout simplement une lettre écrite par Louis ? »

Je m'arrête sur une marche et regarde la photo pour la énième fois. La lettre, trouvée dans la chambre de Clémence, est gravée dans ma mémoire.

« Ouais, c'est ce que je me suis dit au début en voyant qu'il était inscrit « Pour ma chère et tendre » sur l'enveloppe. Mais je crois que ce n'est pas l'écriture de Louis.

— Tu crois ou tu en es sûre ? »

Je relève les yeux dans sa direction en fronçant les sourcils, agacée par son insistance.

« Une vérification peut s'imposer, mais je suis persuadée que ce n'est pas lui qui a écrit cette lettre.

— Tu crois que Clémence peut avoir un amant ? »

Je réfléchis une nouvelle fois et m'adosse contre la rambarde de l'escalier, les pensées embrouillées.

« Peut-être, mais c'est étrange que je reconnaisse son écriture, non ?

— C'est peut-être une écriture qui ressemble à quelqu'un que tu connais mais ce n'est pas forcément cette personne qui l'a écrit... Enfin tu vois ce que je veux dire ? Je pense que nous ne devrions pas faire de conclusions trop vite. »

Je boude un peu suite à sa réponse, un peu déçue de sa réaction, et me décolle de la rambarde pour continuer de descendre cet escalier.

« Peu importe qui l'a écrit Léopold, je suis certaine de connaître l'auteur. Oh ! »

Nous nous arrêtons net dans notre lancée et quelques marches nous séparent du hall d'entrée où toute la famille est regroupée. La plupart d'entre eux relèvent la tête en notre direction en nous voyant arriver. Je descends les dernières marches prudemment, sur mes gardes en attendant une explication sur la raison de ce rassemblement.

« Que se passe-t-il ? »

C'est ma mère qui répond à ma question. Elle sort la tête du petit groupe et s'approche de nous, vêtue de son long manteau prune et du grand chapeau qu'elle porte toujours fièrement.

« Nous allons au verger. Le père Léon l'a pas mal entretenu ces derniers temps, après que tout ait été piétiné par les enfants du village, et il souhaitait qu'on s'y rende pour admirer son travail et voir si le résultat nous convient. Mais ça, c'est le genre de chose que tu saurais si tu t'intéressais un tant soit peu à ta famille. »

Je baisse la tête, presque honteuse qu'elle me reproche de ne pas assez m'intéresser à ce genre d'activités familiales, parce qu'elle a raison, je ne suis pas là pour ça.

« Eh bien, passez une bonne après-midi. »

Je leur souris de la façon la plus polie qui soit et m'apprête à tourner les talons alors que ma mère me rattrape par le bras. Je lui fais face avec une proximité rare entre nous, et j'aperçois ses yeux, remplis de colère, prêts à me réprimander.

« Ah non Charlène, tu viens avec nous.

— Pardon ? »

C'est à mon tour de faire de gros yeux, manifestant mon incompréhension. Ce n'est pas tant que je n'ai pas envie de les accompagner, même si je préférerais profiter de ce temps où tout le monde est sorti pour fouiller un peu le château, mais surtout parce que je ne vois pas pourquoi ma mère souhaiterait que je vienne avec eux.

« Cela fait plus d'une semaine que tu vis ici et les habitants du village commence à parler de ton retour au château. Il me semble important que nous fassions cette sortie en famille. Tous ensemble »

Le silence est d'aplomb, personne n'ose dire quoi que ce soit ni même faire un mouvement pendant le monologue de Marianne. Lorsqu'elle parle, tout le monde se tait.

« Et puis c'est notre première sortie au village depuis l'enterrement de Jeanne, alors tu te dois de venir faire bonne image avec nous. C'est non-négociable si tu souhaites continuer à passer les prochaines nuits ici. »

Je relève les yeux et souffle doucement avant d'accepter. Je suis déçue que la raison pour laquelle ma mère souhaite que je les accompagne soit seulement pour faire bonne image de notre famille au village, mais j'ai besoin de rester ici encore quelque temps, alors je n'ai pas d'autre choix que d'accepter.

« Et change de tenue s'il te plaît Charlène, ton jean bleu fera tâche au milieu du verger. »

Je jette un coup d'œil aux tenues de Blanche, Carole, Lucile et Clémence, toutes dans des robes longues qui crient la bourgeoisie des années 40. Je relève un sourcil et manque de rire, comme pour lui demander si elle est vraiment sérieuse de vouloir jouer ainsi à la petite famille parfaite. Mais je décide finalement de ne pas envenimer la situation, il ne s'agit que d'une après-midi après tout.

« Je suis désolé Marianne, mais j'ai pas mal de paperasse à traiter aujourd'hui. Cela vous dérange-t-il si je reste au château ? »

Ma mère ne prête que peu d'attention à Léopold et agite seulement sa main comme si elle brassait l'air, signe que sa présence pour cette sortie n'était pas nécessaire. Elle tourne le dos et reprend une conversation avec le reste de la famille alors que je m'apprête à remonter dans ma chambre enfiler l'une des vieilles robes qui restaient dans mon placard.

Au bout de quelques marches et à l'abri des regards, Léopold me rattrape et se rapproche de moi de façon à ce que je sois la seule à pouvoir entendre.

« Ne t'en fais pas, je reste pour chercher d'autres indices. »

Je souris à cette nouvelle et il me fait un rapide clin d'œil. Je le remercie en chuchotant et disparais au premier étage du château. Après quelques minutes, je réapparais dans le hall dans une robe longue bleue ciel à manches bouffantes. J'ai l'impression d'être déguisée, mais je ne dis rien en voyant le mécontentement de ma mère lorsqu'elle regarde sa montre pour signifier que je les ai mis en retard.

*

Nous marchons ensuite jusqu'au verger, situé à quelques rues de chez nous, pile à mi-chemin entre le château et le centre du village. Ce verger appartenait à mon grand-père, et de ce que j'ai compris, ma mère a engagé le père Léon pour s'en occuper lorsque mon grand-père nous a quittés.

Le père Léon est un agriculteur plutôt âgé, mais vraiment sympathique, et très fier de nous montrer ce qu'il a fait de notre terrain ces dernières semaines. Je marche aux côtés de Lucile, ma cousine. Clémence et Louis sont devant nous et nous sommes tous les quatre à la fin de cette file indienne qui traverse les chemins du verger. Et nous rions, nous rions et nous parlons de tout et rien, et je ne suis plus si déçue d'avoir été forcée de venir ici, à côté d'eux, j'ai parfois l'impression que ma famille ressemble vraiment à une famille.

J'attrape une poire à peine mûre lorsque nous passons à côté de la rangée d'arbres. Lucile se cache la bouche tant elle rit à cela, comme si je venais de commettre la bêtise du siècle. Mais celle-ci ne se fait que peu discrète puisque ces ricanements alertent ma mère qui s'arrête brusquement dans sa marche. Elle vérifie derrière elle que le père Léon soit toujours occupé à montrer les parterres de fleurs à Blanche et François pour se rapprocher de moi.

« Bon sang Charlène, à quoi tu joues ? Tu n'as pas cinq ans, je crois. Peux-tu te comporter comme une adulte pour une fois ? »

Je ne cille pas et elle se retourne le regard noir. Mes cousins et Clémence ne me jettent qu'un faible regard avant de reprendre le chemin et de rejoindre le père Léon vers les fleurs. Je n'ai jamais compris pourquoi tout le monde avait si peur d'agir à l'encontre de ma mère. Ça a toujours été le cas. Quoi qu'elle dise, quoi qu'elle décide, tout le monde va dans son sens, parce qu'ils ont sans doute trop peur de ce qu'il peut arriver lorsqu'on est contre elle. Ma mère a toujours eu cette aura autour d'elle, même sans la connaître, elle fait peur, et il vaut mieux se plier à ce qu'elle souhaite.

Et c'est comme ça que je reste seule près du poirier, alors que le reste de ma famille rit et applaudit le père Léon pour ses exploits. Je serre les poings, tentant de contenir ma colère.

Marianne gâche toujours les bons moments.

Noble cause.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant