•Chapitre 14•

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Je descends tout le liquide d'une bouteille de rhum trouvée dans l'un des placards du salon, l'amertume brûlant ma gorge, mais je continue à boire jusqu'à ce que la bouteille soit vide. Je roule cette robe horrible en boule et la jette dans la grosse poubelle au fond du jardin. Demain, cette robe sera emportée par les éboueurs et cette après-midi au verger ne sera plus qu'un autre mauvais souvenir avec ma mère.

J'ai la haine contre elle, à tel point que les larmes me viennent sans que je n'y prête attention. Je tremble de nerfs et j'ai besoin de relâcher tout ça.

J'essaye de souffler aussi fort que je peux en relevant la tête pour essayer de me calmer, mais cela ne semble pas suffire. Je balaye du regard l'entièreté du jardin où je me trouve et mon regard s'arrête sur ma tante Carole, assise à la table de jardin, un verre à la main.

Je regarde sur le côté au cas où quelqu'un d'autre serait là, puis je m'élance vers elle.

« Carole ! » je hurle.

Celle-ci relève la tête et me dévisage. Je ne prête pas attention à ses traits du visage qui miment un air interrogateur, et me tire la chaise à côté d'elle pour m'y installer nonchalamment.

« Hum. Je t'en prie... installe-toi, Charlène... »

J'étire un large sourire suite à sa remarque. Je suis déjà installée, pas la peine de me permettre quoi que ce soit.

Ma tante hausse les sourcils et secoue la tête en me voyant agir ainsi, puis elle retourne à sa lecture en retrouvant sa page de livre marquée en coin.

Elle ne prête pas attention à moi et décide de m'ignorer, et cela m'agace d'autant plus que je suis déjà bien suffisamment remontée par la promenade familiale et par tous les agissements de cette famille.

Je souffle et m'affale un peu plus sur la table en fer qui se trouve devant nous.

« C'est quoi le problème de cette famille, Carole ? »

Cette fois, elle relâche complètement son bouquin et me regarde avec toute la froideur qu'elle peut.

« Je te demande pardon ?

— Je demandais pourquoi cette famille est aussi dingue.

— On va arrêter cette conversation ici, Charlène. Tu ne me sembles pas dans ton état. »

Carole se relève d'un bond et quitte la table où nous étions installées, emportant son livre avec elle.

« Non attends, Carole, c'est sérieux comme question, pourquoi ma mère dirige tout et tout le monde se plie à elle à ce point ? »

Elle s'arrête à nouveau devant moi, ouvrant et refermant sa bouche comme si elle s'apprêtait à me répondre quelque chose mais n'en fait rien et secoue la tête avant de s'éloigner un peu plus et de regagner le rez-de-chaussée du château.

Je la suis à grandes enjambées et me mets presque à courir pour la rattraper avant qu'elle ne regagne le perron.

« Pourquoi ne veux-tu pas me répondre ? »

Elle ne répond pas et continue de me distancer.

« J'ai le droit de savoir !

— Arrête ça, Charlène. Tu n'es là que depuis quelques semaines et tu te permets de critiquer le fonctionnement de notre famille. »

Je lève la tête dans sa direction et avance de quelques pas pour que l'espace qui nous sépare se réduise au maximum.

« Vous étiez déjà tous les toutous de ma mère lorsque je suis partie il y a dix ans. Et rien n'a changé aujourd'hui. »

Ses yeux passent du vert au rouge en une fraction de seconde et je crois deviner qu'elle serre les dents.

Je n'ai pas le temps de réfléchir davantage ou de faire quoi que ce soit que sa main vient s'écraser sur ma joue, laissant un picotement et une trace rouge en évidence. Par réflexe, je porte ma main à ma joue et me la masse doucement.

« Pardon Charlène. Je ne voulais pas... »

Je bouillonne intérieurement et des larmes de colère commencent à me brouiller la vue, mais j'essaie de toutes les retenir, hors de question que ma tante me voie pleurer pour une simple gifle.

« Pourquoi agissez-vous ainsi avec ma mère ? »

Je m'efforce à répéter ma question et l'observe se tourner à nouveau vers moi, soupirer un long moment, remettre l'une de ses mèches de cheveux en place et calmer finalement le ton de sa voix.

« Marianne a tout fait pour nous. C'est à elle que mon père a confié la direction du château, c'est elle qui s'occupe de toute l'administration, et c'est grâce à elle que malgré tous les drames qui surviennent ici, notre nom continue de prospérer et n'est pas roulé dans la boue. Elle a réussi à faire en sorte que notre famille continue à être bien vue, et rien que pour cela, nous lui en sommes reconnaissants. »

Je n'ai pas le temps de riposter qu'elle pousse la porte et entre dans le petit salon. Elle range son livre dans l'étagère et passe sa main sur les plis de sa robe comme si notre dispute l'avait froissée.

Je la suis à l'intérieur et me poste devant la porte lorsqu'elle s'avance pour sortir.

« Vous cachez seulement les drames aux habitants du village, notre nom n'est pas propre pour autant, Carole. Cette famille ne fait que mentir et cacher des secrets, ça n'a rien de glorieux bon sang ! »

Je frappe mon poing contre le buffet et le vase posé dessus tombe au sol, laissant derrière lui des morceaux éparpillés dans le salon.

Ma tante ne dit rien. Elle se contente de hausser les épaules, comme si elle savait que j'avais raison mais que ce n'était pas dans ses capacités de le dire clairement.

Et puis des pas retentissent depuis la salle à manger contiguë au salon. Les enfants de Carole, Lucile et Louis, ainsi que Clémence, se précipitent vers nous et s'arrêtent brusquement en analysant la situation. De cris entre leur mère et moi, le vase brisé au sol, des yeux rougis et des poings fermés.

« Que se passe-t-il ? »

Louis s'approche vers nous et nous force à nous éloigner l'une de l'autre avant de ramasser quelques morceaux du vase brisé.

« Charlène a... des réclamations. »

Je fusille ma tante du regard et tous tournent leur regard insistant sur moi, comprenant aussitôt que c'est à moi d'éclairer la situation devant leurs trois paires d'yeux interrogateurs.

« Ma mère fout cette famille en l'air, et vous ne voyez rien. »

J'ai conscience qu'à cet instant j'ai l'air de devenir folle. La crise de nerfs mélangée à l'alcool que j'ai ingéré monte en moi et je ne suis plus capable de retenir les larmes de couler. Je crie, je pleure, et j'agite mes bras dans les airs pour appuyer chacune de mes paroles.

« Ouvrez les yeux bon sang, elle vous guide à la baguette ! Tous autant que vous êtes ! »

Le silence est immédiat, personne ne dit mot et je me sens extrêmement seule à voir ce qui se passe sous leur nez. Je lâche un râle de rage incontrôlé en me tenant la tête et en tournant sur moi-même, énervée devant le fait qu'ils préfèrent fermer les yeux sur la situation qui me paraît si évidente.

« S'il te plaît, Charlène, calme-toi, si ta mère nous entend ainsi elle va te faire sortir du château.

— Bon sang, mais vous refusez de voir la réalité ? Écoute, ce n'est pas la peine de t'en faire Lucile, je me quitte le château !

Noble cause.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant