•Chapitre 20•

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Je cours dans tout le château, mon souffle se faisant court, pour rejoindre la chambre de Clémence. Le château, avec ses longs couloirs et ses nombreuses pièces, me semble plus vaste que jamais. C'est précisément à cet instant que je me rends compte que l'endroit où nous habitons est bien trop grand et que je serais probablement moins stressée durant ce trajet si la chambre de Clémence était à proximité de celle de Léopold. Chaque seconde passée à traverser ces couloirs interminables fait monter en moi une anxiété incontrôlable. Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression que ma poitrine va exploser sous la pression que je me mets.

« Charlène ? »

La douce voix de Blanche me sort de ma frénésie. Elle sort la tête de l'embrasure de la porte du petit salon alors que je suis déjà à quelques mètres de la pièce. Je m'arrête brusquement, mes pieds glissant légèrement sur le parquet ciré. Je me retourne rapidement à l'entente de mon prénom et me rapproche doucement d'elle, sentant son regard inquisiteur sur moi.

« Tout va bien ? me demande-t-elle, tu as l'air affolée.

— Je... hum... »

Je cherche mes mots, regardant partout autour de moi comme une biche prise dans les phares d'une voiture. Mon comportement doit sembler étrange et inquiétant vu de l'extérieur. Mais je n'ai pas vraiment le temps d'expliquer quoi que ce soit à Blanche pour le moment. Je ne sais pas quand Clémence reviendra dans sa chambre, et je ne peux pas me permettre de me faire prendre à fouiller dans ses affaires. Ce serait à coup sûr le renvoi du château pour moi dans ce cas-là.

« Tout va bien, je répond finalement, merci Blanche. »

Ma tante fronce les sourcils, ses traits se marquant davantage. Elle ne doit pas bien comprendre à quoi rime mon comportement et je ne peux que le comprendre. Pourtant, elle passe sa main sur mon épaule et puis derrière mon dos, un geste doux et réconfortant.

« Viens, installe-toi un moment. »

Elle me pousse doucement à l'intérieur de la pièce et je jette un regard instinctif vers le fond du couloir, là où se trouve la chambre de Clémence et donc la fameuse lettre. Blanche s'installe sur l'un des fauteuils en velours rouge résidant au milieu de la pièce et m'invite à faire de même. Je m'assieds avec réticence, l'esprit encore accaparé par la mission que je me suis donnée. Blanche sort une seconde tasse du petit meuble derrière nous et la pose à côté de la sienne avant de me servir du thé.

Ce moment pourrait être vraiment apaisant et agréable. Si je n'étais pas aussi pressée.

« Tiens, ça va te faire du bien. »

Je la remercie et engloutis rapidement le contenu de ma tasse, me disant que Blanche me laissera partir plus rapidement une fois cette séance de thé terminée. La chaleur du liquide me brûle légèrement la gorge, mais je l'ignore, trop pressée par l'urgence de ma tâche.

« Ça tombe bien que tu sois là, j'avais envie de te parler un peu, mais je ne savais pas comment aborder le sujet avec toi. »

Je souffle un peu pour éviter de me brûler davantage et lève les yeux dans sa direction, lâchant un petit raclement de gorge pour l'inviter à continuer.

« Tu te souviens du jour de l'enterrement de Jeanne... Quand je t'ai surprise à parler avec François ?

— Hum, oui ? »

Elle souffle un peu et se place face à moi, de façon à capter toute mon attention. Je sens que ce qu'elle va dire est important, mais chaque seconde qui passe est une seconde de trop loin de la chambre de Clémence.

« Vous vouliez fouiller un peu dans le passé de Jeanne pour trouver ce qu'il s'était passé, c'est exact ? »

Elle présente une petite mine et semble blessée par ses propres paroles. Je sens la culpabilité monter en moi.

« Oh je suis désolée Blanche, je ne voulais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, je voulais seulement vous aider et découvrir la vérité, et je suis désolée si je t'ai fait du mal par la même occasion.

— Oh non, Charlène. J'avais besoin de ne pas ressasser tout ça, mais après ces quelques semaines sans ma fille... Je crois que j'ai besoin de la vérité moi aussi. J'ai l'impression d'avoir manqué quelque chose dans cette histoire, tu vois ? »

Je lui attrape instinctivement la main pour lui apporter mon soutien. Elle porte son autre main à son visage et secoue la tête pour essayer d'empêcher ses larmes de couler.

« Tu penses que je suis une mauvaise mère, Charlène ? »

Ses mots me brisent littéralement le cœur. Je secoue le plus rapidement possible ma tête en signe que non et la rapproche de moi pour l'enlacer. Je lui frotte les épaules et attends un moment qu'elle puisse reprendre ses esprits.

« Je m'en veux tellement, tu sais. J'étais sa mère, je vivais avec elle, je l'ai littéralement mise au monde et je ne savais pas qu'elle souffrait. Je ne la connaissais pas finalement, c'était une inconnue pour moi, bon sang... »

Des sanglots s'échappent de sa gorge et son maquillage parfait s'estompe petit à petit parmi ses larmes. Mon cœur se serre devant tant de douleur.

« Tu as fait ce que tu as pu, Blanche, tu aimais ta fille et tu as tout fait pour la rendre heureuse.

— Mais ce n'était pas suffisant. »

Prise par sa tristesse, Blanche se laisse à nouveau aller à ses pleurs et je ne sais plus comment la consoler, alors je la laisse exprimer sa douleur et me contente de lui tapoter l'épaule de temps à autre.

Je suis persuadée qu'elle a été une bonne mère pour Jeanne, tout comme mon oncle a été un bon père. Mais ma cousine a probablement vécu des choses trop difficiles pour en parler à qui que ce soit. Et parfois, parler à ses parents semble bien plus difficile que de se laisser sombrer dans son mal-être.

Jeanne n'avait que dix-sept ans, un âge difficile où certains d'entre nous doivent faire face à de grands drames. Et je ne sais pas si sa mère ou qui que ce soit d'autre aurait pu changer quelque chose à sa douleur, mais j'aurais aimé être là moi aussi, pour lui dire que tout s'arrête un jour, que la douleur peut s'atténuer.

Qu'elle n'est pas seule.

La seule chose que je souhaite maintenant, c'est pouvoir atténuer la douleur qu'elle a transmise à ses parents.

« Je vais essayer de trouver ce qu'il s'est passé, Blanche, je te le promets. »

Blanche me sourit faiblement et je le lui rends ce sourire. Le silence se fait, pesant mais nécessaire, et en relevant la tête de notre étreinte, je vois Clémence passer devant la pièce, rejoignant probablement sa chambre située au bout du couloir.

Merde.

« Un problème, Charlène ? »

Je tourne mon regard vers Blanche qui a sûrement remarqué ma réaction, et lui présente un semi-rictus presque forcé, lui indiquant que tout va bien.

Je repasserai plus tard pour prendre la lettre, ce n'est pas grave. Pendant ce temps, je pourrai trouver une autre solution pour lier mon père à cette lettre. Il y a bien d'autres chambres à fouiller dans ce château.

« Ne t'en fais pas Blanche, ça va aller. »

Je lui adresse un sourire sincère qu'elle me rend aussitôt en s'affalant davantage dans son fauteuil rouge, presque soulagée par mes mots. Je me relève ensuite et quitte la pièce sous son regard qui se veut un peu rassuré.

Noble cause.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant