Au travers de l'immense baie vitrée qui avait séparé le laboratoire de la salle de réunion où se trouvait Jeanne, j'avais fini par voir cette dernière mettre un terme à sa conversation avec Maria. Puis, durant les longues secondes qui avaient suivie cette action, la scientifique était restée stoïque, le visage baissé et le regard comme vissé à la large table ovale qui lui avait fait face.
Après avoir balayé d'un revers de la main ses larmes, Jeanne s'était soudain redressée sur sa chaise avant de se lever pour d'un pas décidé rallier la sortie de la salle de réunion et une fois qu'elle nous avait rejoints moi, Fleur et Malik, sans même échanger avec nous un simple regard, elle nous avait intimé l'ordre de la suivre.
Sauf qu'avant d'aller plus loin, la scientifique et le vigile s'étaient armés d'aiguillons électriques et de pistolets hypodermiques. En les voyant faire, ma meilleure amie avait de suite protesté alors que pourtant elle connaissait la dangerosité de cette chose. De cette créature. De ce que je vais appeler jusqu'à la fin de mon histoire 13.V. puisque c'était son nom.
Ayant vite compris que de chercher à parlementer avec Fleur serait peine perdue, les deux adultes lui avaient donc promis de n'utiliser leurs armes qu'en cas d'ultime recours. Une concession qu'à ma grande surprise mon amie avait acceptée avec une facilité déconcertante, car je l'ai appris depuis, mais qu'elle eu cru ou non leur parole n'avait eu en définitive que peu d'importance et pour cause : elle avait fait part de son mécontentement et avait été entendue.
En restant sur nos gardes, Jeanne était venue ouvrir la marche et une fois arrivée à l'embranchement qu'avec Fleur nous connaissions déjà presque par cœur nous avions tous pris la seule direction que nous n'avions jamais suivie : celle de la Fabrique. Un terme qui au regard de la découverte que nous allions y faire se révélerait être bien trop réducteur puisqu'en plus d'être le désert de notre expédition clandestine, l'endroit allait nous montrer la véritable nature de ce qu'était la ferme des 20000.
Mais avant de pouvoir pénétrer dans ce lieu qui allait se trouver être toujours plus creusé dans le sous-sol, comme pour avoir le droit d'assister à un cérémonial religieux, nous allions tous devoir revêtir un habit traditionnel.
Alors qu'après le passage d'une première double porte qu'avait déverrouillée Jeanne avec son badge d'accès, une autre nous avait permis de rallier un vestiaire, la scientifique nous avait demandé de nous changer en nous tendant une tenue du genre de celles que l'on ne voit que dans les films de pandémie : une combinaison stérile intégrale de couleur blanche complétée par des surchaussures, une charlotte, un masque chirurgical ainsi que des gants.
Sur le moment, je me souviens que j'avais pensé que de s'habiller de la sorte était beaucoup trop de précautions et que surtout ça ne pouvait signifier qu'une seule chose : que dans l'endroit où nous allions nous rendre, l'ordre naturel de la vie avait bel et bien été violé.
Une peur panique venait de s'emparer de moi et en voulant la communiquer à Fleur je m'étais aussitôt mise à la dévisager, sauf qu'à la manière que mon amie avait eu de s'empresser de revêtir son accoutrement, j'avais compris que mon ressenti n'était pas réciproque.
La seconde d'après, Fleur avait fini de s'habiller et plus déterminé que si elle était partie saccager la devanture d'une boucherie, faire un sit-in ou encore un happening, je l'avais vue se dépêcher de rejoindre Jeanne et Malik qui nous attendaient à proximité du prochain accès que nous allions devoir franchir pour avancer davantage.
Lorsqu'en utilisant son badge la scientifique avait déverrouillé une nouvelle double porte, celle-ci s'était ouverte sur l'intérieur d'un sas de décontamination et en y entrant, après que dans notre dos ce dernier se soit refermé une puissante soufflerie s'était mise automatiquement en marche.
Depuis le début de notre aventure, moi et ma meilleure amie avions naïvement cru que ce qui se trouverait dans, ou sous la ferme des 20000 n'allait être que le refuge d'un savant fou. Un lieu d'un autre temps où y vivant reclus Jeanne s'était adonnée à des expériences sur les animaux, mais nous avions été à des années-lumière de la vérité et ça nous n'allions pas tarder à le découvrir.
Quand le cycle de renouvellement de l'air avait pris fin et que la sortie du sas coté Fabrique avait été possible, j'avais d'un pas hésitant franchi son seuil et ça pour une bonne et simple raison : face à moi s'était soudain dressé une construction d'usine si imposante qu'elle avait bouché mon regard comme ci mes yeux n'avaient pas été assez grands pour en saisir toute la monstruosité.
Contre toute attente, le laboratoire secret sur lequel moi et Fleur étions venues enquêter n'avait en définitive été que la partie immergée d'un iceberg puisque sous l'installation fermière avait aussi été construite une usine de viande artificielle. Un Meatlab comme les Anglo-saxons l'appellent. Ce que dans les milieux français spécialisés on préfère nommer agriculture cellulaire.
Alors qu'en nous mettant à suivre les deux adultes, venait de commencer pour moi et ma meilleure amie notre visite de l'endroit, Jeanne avait trouvé bon de chercher a nous expliquer ce que nous étions en train de voir.
- Ne vous fatiguez pas, lui avait immédiatement craché Fleur pour la faire taire, car nous connaissions déjà presque par coeur ce qu'on nommait aussi viande propre.
Sauf que contrairement à ce que laissait à penser cette appellation, une installation de ce genre n'était jamais absente de maltraitance animale, bien au contraire, car la matière première qui servait à obtenir cette viande artificielle, autrement dites cellules souches, avait du être extraite de la moelle osseuse de bêtes bien vivantes. Une pratique extrêmement douloureuse qui au regard de l'immensité du Meatlab dans lequel nous venions d'atterrir n'avait pu être qu'intensive.
Petite aparté, mais si vous ne le savez pas déjà, avant d'être placées dans une atmosphère contrôlée, mélangée à du sucre et des protéines pour qu'elles puissent se multiplier jusqu'à atteindre le stade de la maturité, une cellule souche est comme vierge de tout destin. À la différence de ce que peuvent être les spermatozoïdes ou les ovules dans la conception d'un bébé, elles peuvent aussi bien devenir un muscle, qu'un organe ou qu'un vaisseau sanguin.
Quoiqu'il en avait été, une fois arrivé à la fin de notre visite de la Fabrique, Fleur et moi avions pu voir l'aboutissement de cette agriculture cellulaire : une pâte dont la couleur, mais aussi la consistance m'avait immédiatement fait penser a celle d'une viande hachée que l'on aurait en prime passée au mixer. En réalité un strict mélange d'eau, de muscles et de graisse qui à ce stade-là aurait eu de quoi rebuter jusqu'au plus gros mangeur de viande.
Sauf que la suite du processus de fabrication allait être capable de rendre l'horrible consommable et donc commercialisable, puisqu'après que cette purée cellulaire ait été rassemblée dans d'immenses cuves, des imprimantes 3D reproduisaient à l'infinie toutes les variantes possibles de la viande porcine : filets, échine, poitrine, mais aussi des parties plus entières telles que les jambons, les épaules, les côtes, les jarrets, les pieds ou encore la tête.
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Impitoyable [ Terminée ]
HorrorFleur et Anna, deux jeunes militantes anti-spécisme partent enquêter sur une ferme d'élevage porcin qui cache un horrible secret...