43. Mission suicide

244 14 20
                                    

Après que je lui ai demandé pourquoi elle tenait à ce point à m'accompagner même au péril de sa vie, Jeanne m'avait considérée d'un regard en coin. Puis ces yeux avaient quitté les miens pour aller se perdre dans le vague et ce faisant elle avait marqué une hésitation avant de me dire.

- En m'engageant sur ce projet, je m'étais fait la promesse de sauver des vies au lieu de continuer à en détruire. Et autant je ne suis pas parvenue à sauver celles d'Yves, d'Auréline ou encore de Malik, autant je peux encore essayer de sauver la tienne. Si je te laisse partir seule à la recherche de ton amie et que 13.V te tue, alors la promesse que je m'étais faite sera définitivement morte avec toi.

Je me souviens que sur le moment, j'avais été déçu par la réponse que venait de me faire Jeanne, car quelques instants auparavant j'avais espéré qu'elle était prête à me suivre parce qu'elle s'était prise d'affection pour moi.

Sauf que son argument avait été purement égoïste. Louable certes, mais intéressé comme une sorte de quête personnelle qu'elle se serait juré d'honorer quoiqu'il lui en coûte. Cependant, je n'avais pas fait part de mon émoi à la scientifique, préférant lui demander qui allait bien pouvoir continuer son travail si en m'accompagnant, elle y restait.

- Ne t'en fais pas pour cela, m'avait-elle alors répondu avant d'ajouter, tout ce que j'ai accompli ici continuera d'une façon ou d'une autre à exister. En tout cas, je sais que Maria fera tout son possible pour que ce soit le cas.

En voyant Jeanne dégainer son pistolet hypodermique, un message était immédiatement passé et j'avais compris que notre échange avait pris fin. En la suivant comme son ombre, nous étions vite arrivées face à l'entrée de la Fabrique.

Après que Jeanne en ait ouvert la double porte avec le badge qu'elle avait pris sur le cadavre de l'un de ses défunts collègues, nous avions traversé le vestiaire où, ni Fleur et ni 13.V ne se trouvaient.

Nous venions de nous engouffrer dans le sas de décontamination et pendant que l'air qui nous entourait s'était mis à se renouveler dans un bruit de succion prolongé, de façon succincte ma partenaire m'avait exposé quel allait être notre plan.

- On entre, on trouve ton amie et on rejoint au plus vite l'entrée B pour y attendre les secours.

Bizarrement, en entendant Jeanne me cracher ces mots aussi sèchement, je m'étais réjouie d'avoir enfin retrouvé chez elle tout l'aplomb dont elle avait su faire preuve quand quelques heures auparavant elle n'avait pas hésité une seule seconde à tirer sur Fleur, puis sur moi.

Pour ne plus apparaître comme le maillon faible de l'histoire je lui avais du tac au tac répondu, c'est bien compris, avant qu'elle ne vienne clore notre échange en ajoutant, tu restes à côté de moi et si jamais tu trouves ton amie la première, surtout tu n'hésites pas. Tu la frappes avec ton aiguillon électrique jusqu'à ce qu'elle ait perdu connaissance.

Une fois la double porte qui permettait d'entrer dans le Meatlab d'ouverte, plus déterminée que jamais, Jeanne s'était ruée vers l'avant et en l'imitant du mieux que j'avais pu, je m'étais lancée à ses trousses.

Nous venions de commencer notre chasse à l'homme dans le dédale de l'usine, lorsque ma confiance s'était mise à s'étioler à chacun de mes pas et pour cause : alors qu'au tout début j'avais été enthousiaste à l'idée de participer à cette mission suicide, je venais de me rendre compte que ma démarche héroïque à vouloir sauver à tout prix Fleur n'avait été qu'une énième preuve de mon immaturité et que peut-être même, ça allait être la fois de trop.

Malgré tout, je n'en avais rien dit à la scientifique et ce faisant j'avais été celle qui avait trouvé mon amie en premier. À l'angle d'une machinerie, je l'avais vue parler dans le vide comme si elle s'était adressée à un fantôme, sauf qu'il avait bien évidement s'agit de 13.V.

Puisque le vacarme autour de moi était partout, je n'avais pas pu entendre ce qu'ils étaient en train de se dire, cependant, par la gestuelle qu'avait eue Fleur et le fait qu'elle avait brandi le badge d'accès volé à Jeanne, j'avais compris l'essentiel : qu'avec 13.V, ils venaient d'arriver à un consentement mutuel. Un accord qu'ils ne tarderaient pas à mettre en oeuvre si je ne les arrêtais pas à temps.

Je l'apprendrais par la suite, mais lorsque 13.V était sortie de sa cachette pour aller à la rencontre de ma meilleure amie, il lui était apparu sous les traits de Malik et ce faisant, il n'avait montré à son égard aucune forme d'animosité. Après quoi, Fleur lui avait signifié qu'elle était prête à l'aider à quitter le sous-sol, en échange de sa propre vie, mais aussi de la mienne et de celles de nos familles.

Quoiqu'il en avait été, lorsque j'avais revu Fleur dans le Meatlab, je m'étais de suite figée sur place avant de regarder dans mon dos en espérant y trouver Jeanne, sauf que cette dernière avait disparu. J'avais alors repensé à l'injonction qu'elle m'avait faite et immédiatement après je m'étais mise à braquer devant moi la pointe de mon aiguillon électrique.

Le plus discrètement possible je m'étais en suite approchée de mon objectif, mais à nouveau comme ci elle avait été capable de sentir ma présence, mon amie avait pris ses jambes à son cou. J'avais alors cherché à rebrousser chemin pour rejoindre ma partenaire, mais 13.V m'en avait empêché.

En surgissant devant moi toujours sous les traits de Malik, il m'avait dans un premier temps barré la route. Puis de ses énormes mains, il était venu me saisir à la gorge avant de se mettre à m'étrangler et à mesure que l'étreinte autour de ma nuque s'était renforcée, j'avais senti mon corps se soulever.

Mes pieds n'avaient plus touché terre quand heureusement pour moi, Jeanne était apparue dans le dos de 13.V. Lorsqu'elle lui avait tiré dessus avec son pistolet hypodermique, la flèche remplie d'anesthésiant était venue se planter dans sa chair et l'instant d'après, il m'avait lâché avant de se mettre à fuir.

Au moment où Jeanne m'avait rejoint, une fois mon souffle de retrouvé, je lui avais dit tout en pointant du doigt la direction où j'avais aperçu Fleur pour la dernière fois.

- Elle est partie par là. Et elle a toujours ton badge.

L'instant d'après, Jeanne s'était lancée à sa recherche, sauf que la course dans laquelle venait de s'engager la scientifique n'avait pas duré bien longtemps et en la rejoignant, j'avais immédiatement compris pourquoi : immobile et droite comme un piquet, mon amie semblait nous avoir comme attendu.

Sans même chercher à lui faire la moindre sommation, Jeanne lui avait donc tiré dessus et avec une inertie propre au lourd sommeil médicamenteux qui venait de s'abattre sur elle, Fleur avait lentement mis un genou à terre avant de s'allonger de tout son long sur le sol.

Après s'être approchée de mon amie, en la fouillant la scientifique avait récupéré son badge d'accès. Puis en saisissant Fleur bras dessus bras dessous, nous étions toutes sorties de la Fabrique.

En retrouvant le calme et l'austérité du couloir, je m'étais sentie soulagée du dénouement heureux de cette mission suicide, sauf qu'en me demandant de l'attendre, Jeanne avait fait renaître en moi une peur irrationnelle de la mort.

Soudain devenue mutique, j'avais été bien incapable de lui exprimer toute ma détresse, mais en la voyant se rapprocher de la double porte et du lecteur fiché dans le mur qui lui était associé j'avais immédiatement compris le pourquoi de ce retour en arrière.

Malgré le sédatif que venait de recevoir 13.V, il y avait toujours un risque qu'il puisse continuer de nuire et en utilisant son badge pour condamner toute entrée et toute sortie de la Fabrique, Jeanne avait voulu mettre un terme définitif à cette possibilité.

Impitoyable  [ Terminée ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant