Bercée par les vibrations du véhicule que conduisait Jérem, un état de somnolence s'était lentement emparé de moi et ce faisant, les yeux à demi clos j'avais pu voir le soleil se lever au travers de la lucarne de ma fenêtre. Et à mesure qu'il s'était mis à dépasser de plus en plus l'horizon, le sol et le ciel qui avec la nuit n'avaient fait qu'un s'étaient petit à petit séparés. Puis, ses rayons de lumière étaient venu nimbé d'une belle couleur jaune orangé la rase campagne dont les champs étaient recouverts d'une légère brume stagnante.
Enivrée par la poésie de cette aurore, je n'avais pas remarqué que depuis peu, Jérem avait cessé de suivre l'ambulance comme il avait pourtant promis de le faire et lorsque je lui avais demandé de s'arrêter pour je puisse descendre du véhicule, ses mains étaient venues se crisper sur son volant. Mais en ajoutant de suite après mon injonction un, s'il te plaît il s'était aussitôt détendu.
En ralentissant, Jérem avait fini par garer sa voiture sur le bas-côté de la route et la chose faite, je m'étais empressée d'ouvrir ma portière. L'instant qui avait suivi, l'air frais qui s'était engouffré dans mes poumons avait soudain rendu ma cloison nasale douloureuse. Quand mes pieds nus étaient venus fouler le sol tapi d'herbe légèrement humide de rosée, que j'avais pu sentir la végétation glisser entre mes orteils, un courant électrique s'était mis à parcourir tout mon corps de sa base jusqu'à son sommet et j'en avais eu un frisson d'extase.
Alors que les dernières heures n'avaient été pour moi que synonymes d'enfermement et d'austérité, je m'étais soudain mise à emmagasiner au maximum ce souvenir de petit matin. Sauf que trop heureuse de savourer sur mon visage la réconfortante chaleur du soleil levant, je n'avais prêté aucune attention au claquement qu'avait fait la portière de Jérem lorsqu'il l'avait fermé. Puis, je ne m'étais pas davantage inquiétée quand le son de ses pas s'était rapproché de moi avant que je ne bascule vers le sol.
Avais-je fait un malaise à cause de la fatigue ? Avais-je glissé sur l'herbe mouillée ? Ou bien est-ce que Jérem m'avait volontairement poussé ?
Dans un reflex propre à la survie, j'avais immédiatement fait une volte-face et ce faisant, j'avais vu Jérem apparaître au-dessus de moi. Sauf qu'au lieu de me venir en aide, il s'était assis à califourchon sur ma poitrine et lorsque ses mains s'étaient rapprochées de mon cou avant de se mettre à l'écraser, j'avais de suite compris que ses intentions à mon égard étaient belliqueuses.
J'allais l'apprendre par la suite, mais Jérem allait vouloir que je lui dise tout ce que j'avais pu voir dans les entrailles de la ferme des 20000 et ça pour une simple et bonne raison : parce qu'en l'absence d'images, j'étais devenue la seule et unique témoin des événements qui s'y étaient déroulés.
Mais de ce plan, Jérem n'en avait jamais eu la préméditation, car il s'était imposé de lui-même dès lors qu'il m'avait vu émerger en vie des décombres encore fumants. Et quand les ambulanciers avaient insisté pour que je les suive, que j'avais refusé de le faire et que de peur je m'étais mise à m'en aller, en trouvant le visage familier de Jérem ma vigilance s'était brutalement éteinte. Une faiblesse que depuis il n'avait eu de cesse d'exploiter tout en attendant de pouvoir passer à l'action.
Je le sais aujourd'hui, mais lorsqu'il avait vu mes paupières frétiller et mes yeux rouler en arrière, de peur que je m'évanouisse Jérem avait immédiatement relâché la pression qu'exerçaient sur ma gorge ses deux mains. Puis, d'un ton très calme, près glacial au regard de la situation il m'avait dit.
- Si tu me racontes tout ce que tu as vu là-bas, je te promets que je ne te ferais aucun mal.
Jérem avait été reconnaissable, sauf qu'il n'était plus lui même. De sa bienveillance de toujours à mon égard, il n'était plus rien resté. Rien que l'amertume que laisse derrière elle une relation que l'on pensait pourtant être éternelle.
Quoiqu'il en avait été, au lieu de passer aux aveux, je m'étais mise à rire et j'avais soudain pu voir dans le regard de mon agresseur la folie monter crescendo comme l'aurait fait le niveau d'une rivière avant la crue.
- Putain, mais pourquoi tu ris ? Tu crois que je plaisante c'est ça ? M'avait aussitôt craché Jérem alors que sa bouche ne s'était trouvée qu'à quelques centimètres à peine de mon visage.
Du pourquoi de mon lâcher-prise, Jérem n'en saurait jamais rien, car j'allais le tuer. Mais lorsqu'il s'était mi à me menacer, j'avais immédiatement repensé à la mise en garde que m'avait fait Fleur et qui avait eu lieu durant l'ultime soirée de notre groupe de militant anti-spécisme : celle de surtout ne jamais me retrouver seul avec lui.
Sauf que sur le moment, je n'y avais pas porté d'attention particulière alors que pourtant, il avait s'agit d'un code que les femmes se transmettent de génération en génération comme pourrait l'être une malédiction. Tout simplement que les hommes au sens masculin du terme ne sont que des prédateurs. Et comme un boomerang qui me serait revenu en pleine face, l'avertissement de ma meilleure amie venait de me frapper par surprise et avec vengeance.
Quand de colère, Jérem s'était remis à m'étrangler, je m'étais soudain débattue et avec une facilité déconcertante, alors que pourtant il pesait plus du double de mon poids, j'étais parvenue à prendre le dessus sur lui. En une fraction de seconde, les rôles s'étaient inversés et à califourchon sur mon agresseur, à mon tour j'étais venue placer mes mains sur sa gorge avant de commencer à l'écraser entre mes doigts.
- C'est de ta faute si elle est morte, m'étais-je soudain mise à murmurer à l'oreille de Jérem avant d'ajouter plus calmement encore, tu étais le seul à savoir où on était. Tu étais le seul à savoir, alors ces tueurs, ça ne pouvait venir que de toi.
Sauf qu'en m'écoutant parler, je m'étais soudain rendue compte que le véritable responsable de la mort de mon amie n'était pas réellement Jérem, mais bel et bien moi, puisque de mon message laissé sur son répondeur avait découlé tout le reste.
Malgré toute la culpabilité que j'avais pu ressentir quand j'avais pensé tout ça, je ne m'étais pas arrêtée pour autant et avec la conviction de tenir entre mes mains une raison valable d'enfin laisser exploser toute ma rage, ma tristesse et ma révolte, j'étais venue demander à Jérem qui il avait bien pu prévenu. Qui était celui ou celle qui avait réellement commandité l'attaque de ces mercenaires. Mais au lieu de se confesser, Jérem avait cherché à s'extraire de mon emprise.
À présent que j'écris tout ça, je me souviens que lorsque j'avais pu lire sur son visage la plus ineffable des peurs, j'avais soudain compris que pour la première fois de sa vie, Jérem ne s'était pas trouvé assez fort. Pas assez viril, masculin, homme, car il était en train de perdre la face contre une gamine au physique fragile sur laquelle pourtant, quelques instants auparavant il avait été certain d'avoir l'ascendant. Et cet état de sidération l'avait tellement désarçonné qu'il s'était mis à uriner sur lui alors que ça ne lui était pas arrivé depuis ses onze ans.
Ce secret que j'apprendrai par la suite, allait cependant se révélerait être bien plus avouable que certains autres, puisque en tentant d'obtenir de moi ce qu'il voulait. En m'agressant de manière aussi sournoise, Jérem n'en avait pas été à son coup d'essai, loin de là. Surtout, j'allais bientôt découvrir que Fleur en avait l'une des très nombreuses victimes.
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Impitoyable [ Terminée ]
HororFleur et Anna, deux jeunes militantes anti-spécisme partent enquêter sur une ferme d'élevage porcin qui cache un horrible secret...