53. Telle une vague de tsunami

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Avez-vous déjà ressenti cette impression de chute libre ? De total lâcher-prise ? Avant d'être piégée dans les entrailles de la ferme des 20000 et de devoir rebrousser chemin en espérant parvenir à retrouver Jeanne, je ne l'avais ressentie que dans mes rêves. Et dans ces rêves où pourtant tout m'avait paru bien réel, je sautais malgré moi d'une hauteur et en attendant l'inexorable rencontre avec le sol, je n'arrêtais pas de me répéter comme un mantra.

- Tu vas te réveiller. Tout ceci n'est qu'un rêve.

En l'absence de Jeanne et même si j'avais été en possession de son badge d'accès, mes chances de survie avaient été proches de zéro, car en définitive je n'avais aucune réelle certitude que ceux qui s'étaient manifesté derrière la porte de l'entrée B n'allaient pas me tuer une fois que je leur aurais ouvert.

Et au moment où je m'étais mise à accélérer le pas dans l'espoir de retrouver plus vite la scientifique, soudain tout ne m'était apparu que comme l'un de ces rêves, à la différence que cette fois-ci il y avait de fortes chances pour que je ne m'en réveille jamais. Une réalité à laquelle j'avais brutalement été confronté lorsque le son d'une rafale de coups de feu était venu me percer les tympans.

Fort heureusement, je n'avais pas été la cible de ces tirs et au regard de leur persistance, j'avais aussi compris que ce n'était pas Jeanne qui les avait provoquées, mais bel et bien 13.V.

Notre plan avait donc fini par marcher et le rat était sorti de sa cage et ce faisant, il avait attaqué les mercenaires. Cependant, alors que tout en moi m'avait dit de me jeter sur le sol. De m'y rouler en boule et d'attendre que ça passe, je n'en avais rien fait. En continuant d'avancer vers le danger, je m'étais donc rapproché de lui comme j'aurai pu le faire pour ne pas effrayer une bête féroce.

Et à mesure que je l'avais fait, des hurlements étaient venus se mêler au son des tirs en rafale : des cris de douleurs, de supplications, mais aussi tout un tas d'injonctions martiales du genre de celles que l'on ne peut entendre que dans les films ou les reportages de guerre.

- Repliez-vous ! Cessez-le-feu. À couvert, ou encore, avec moi, feu à volonté.

Sauf que j'avais beau eu le chercher, je n'étais pas parvenue à trouver le combat et tout ce que j'avais pu voir de lui n'avait été que ce qu'il avait laissé dans son sillage : un parterre de douilles fumantes, des myriades d'impacts de balles et d'impressionnantes giclées de sang ainsi que des parties plus ou moins complètes de corps humains.

Alors que ce déjà-vu était brutalement venu me nouer les tripes, à l'angle d'un couloir, j'avais fini par trouver Jeanne. Allongée à même le sol, la scientifique avait été laissée pour morte et quand je m'étais précipitée vers elle j'avais été soulagée de la voir se redresser sur ses jambes.

- Mais qu'est-ce que tu fais là ? m'avait-elle craché dans un souffle après avoir remarqué ma présence, ce à quoi je n'avais rien répondu parce que de lui avouer la vérité m'aurait été défavorable. Viens ! On doit rejoindre l'entrée B ! m'avait-elle alors lancé et en me saisissant par le coude, Jeanne m'avait forcé à la suivre.

Cependant, notre fuite s'était vite transformée en interminable et bientôt impossible procession, car malgré le fait qu'elle n'avait pas eu de blessures apparentes, l'adulte semblait souffrir de partout et après avoir marqué le pas, je l'avais vue mettre un genou à terre.

En m'approchant d'elle, j'avais de suite cherché à l'aider à se relever, sauf que la scientifique m'avait dit qu'elle n'y arriverait jamais. Que seule, il me restait une chance de m'en sortir vivante.

- Tu n'as pas compris ? Tu n'as pas encore compris pourquoi je suis venue te chercher ? Parce que j'ai besoin de toi. Parce que tu représentes une assurance vie. Parce que soit tu m'as envoyé me faire tuer comme ça avait toujours été prévu, soit tu l'as fait pour être certaine qu'il n'y avait aucun danger à ouvrir à cette nouvelle équipe de sauvetage, lui avais-je alors hurlé, mais seulement dans ma tête. Je refuse de t'abandonner, avait été ma vraie réponse et ça, sans que j'en ai pensé le moindre mot, mais je l'avais fait avec une telle détermination dans la voie que Jeanne m'avait crue.

Après que la scientifique soit parvenue à se remettre debout d'elle-même, nous avions donc repris notre avancée vers l'entrée B. Nous venions d'atteindre la fin d'un premier couloir et le début d'un autre quand un hurlement d'une noirceur caverneuse s'était fait entendre et j'avais aussitôt marqué le pas avant de stopper tout net.

L'instant qui avait suivi, j'avais pu voir débouler devant moi trois mercenaires, sauf qu'en en lisant la peur sur leurs visages émaciés, j'avais de suite compris qu'avec Jeanne nous allions être le cadet de leurs soucis et pour cause : ils étaient en train de fuir pour leur vie. De tenter d'échapper à quelque chose qui encore une fois ne pouvait être que 13.V.

Quand 13.V était apparu dans le dos des trois hommes en armes, j'avais eu un mal fou à croire qu'il avait encore pu s'agir de lui, puisque contrairement à la dernière fois où je l'avais eu sous les yeux, c'est-à-dire sous les traits de Malik, il avait entre-temps pris une tout autre apparence. Ça avait été comme de regarder ce qu'un être vivant pouvait avoir chez lui de plus barbare, de plus laid et aussi de plus mortel. Comme si en l'absence de toute nécessité de cacher quelle était sa véritable nature, son instinct de prédation avait pris le dessus sur tout le reste.

Au moment où l'énorme et répugnant amas de muscles, de graisses et d'organes en tout genre qu'était devenu 13.V s'était mis à déferler telle une vague de tsunami sur l'un des mercenaires, il ne s'était pas contenté de le tuer. Il l'avait littéralement aboli.

Durant un instant seulement, j'avais eu cet homme dans ma ligne de mire avant qu'il ne disparaisse pour ne plus jamais refaire surface.

Quoiqu'il en avait été, face à cette nouvelle menace qu'était devenu 13.V la fin était ce à quoi vous deviez vous attendre, sauf que d'ici à ce que vous rendiez votre dernier souffle, vous alliez devoir souffrir. Vous alliez devoir expier en rampant sur le sol et en criant de grâce. Devoir entendre vos os se briser un à un puis pénétrer vos chairs. Sentir ce chaud-froid que ferait votre sang lorsqu'en giclant de votre corps, il se mettrait à ruisseler sur vos plaît béantes.

Étrangement et alors que ni Jeanne et ni moi n'avions encore pris nos jambes à nos coups, lorsque 13.V avait fondu sur les deux autres mercenaires, je n'avais pas pu m'empêcher de penser que comme l'homme, il avait dû prendre goût à sa prétendue supériorité sur toutes les autres espèces vivant sur Terre.

Une réflexion qui m'avait donc fait me dire que s'il en avait eu le temps et le loisir, 13.V aurait cuisiné son repas pour en faire un rôti, une ballottine, un petit four, un cromesqui, un carpatchio, un tartare, un tataki, un effiloché, un goulash, une terrine, un pâté, un jus, une soupe, une mousse, une émulsion, une émission de cuisine et très probablement une saucisse à hot dog, un nugget ou encore un steak haché.

Impitoyable  [ Terminée ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant