36. Prête ?

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Jeanne et moi venions de nous approcher d'une nouvelle porte et donc d'une autre pièce que nous allions devoir inspecter avant de la condamner et comme précédemment, en se tournant vers moi ma partenaire m'avait dévisagé tout en me lançant un, prête ? Qui m'avait fait me raidir sur mes positions.

Sauf que cette fois-ci le ton sec de la scientifique avait laissé place à de la bienveillance et elle l'avait dit d'une voix douce, presque encourageante. D'avoir pu discuter avec Jeanne l'avait rendue moins froide à mon égard ce qui avait immédiatement eu pour conséquence de me mettre en confiance.

Sans avoir besoin de me cramponner au manche de mon aiguillon électrique pour me donner du courage, j'avais acquiescé d'un franc hochement de tête, après quoi ma partenaire était venue ouvrir la porte sans que cette fois-ci aucun phénomène de maison hantée ne se fasse entendre.

Lorsqu'elle était entrée dans la pièce qui s'était trouvée derrière, j'avais suivi Jeanne et très vite, quand la lumière s'était activée automatiquement, comme un seul homme nous avions marqué le pas et a raison : l'endroit dans laquelle nous venions de nous engouffrer était ce qu'on appelle communément une studette. Un espace tout-en-un de quelques mètres carrés où cohabitent une chambre au confort spartiate, une cuisine aménagée et une salle de bain.

Après avoir échangé avec la scientifique un, RAS de rigueur, je l'avais vu venir s'allonger de tout son long sur le lit et son regard orienté vers le plafond comme elle l'aurait fait pour contempler le ciel un soir de pluie d'étoiles filantes, elle s'était mise à penser à voix haute.

- Si je m'écoutais, je pourrais rester là et dormir pendant au moins quarante-huit heures, avait-elle dit d'une voix traînante avant de fermer les yeux.

Comme durant plusieurs secondes, je ne l'avais pas vu bouger, je m'étais lentement rapproché de Jeanne avant de venir m'asseoir à son côté sur le rebord du lit.

Bizarrement et jusqu'à ce que ce moment arrive, l'idée qu'elle est ses défunts collègues aient pu passer des jours, des semaines, voire peut-être même des mois enfermés dans le sous-sol de la ferme des 20000, y vivant en vase clos sans jamais avoir de contact ni avec leurs familles ni leurs amies ne m'était jamais venu à l'esprit.

- C'est ton appartement ? Avais-je fini par demander, ce à quoi ma partenaire avait répondu, non, c'était celui d'Yves. Le mien est, disons... plus personnalisé.

À mesure que je m'étais mise à regarder tout autour de moi, j'avais alors mieux compris pourquoi la scientifique s'était sentie obligée d'apporter ce genre de précision. Car rien dans la pièce n'aurait pu la différencier de ce qu'était une chambre d'hôtel bon marché qui venant d'être faite n'aura pas encore servie. Pas même une photo de famille posée sur un meuble.

Ce ne serait que bien plus tard que j'allais comprendre pourquoi cette absence totale d'excentricité était révélatrice de qui avait réellement été Yves. Quelqu'un d'irréprochable, mais seulement en apparence puisque le scientifique cachait un lourd secret. Une relation adultère qui dans d'autres circonstances n'aurait regardé que lui, sauf qu'ici cette infidélité avait permis à l'inimaginable d'arriver.

Depuis, il n'y a pas un jour qui passe sans que je repense à l'échange qu'il avait eu avec Auréline et pendant lequel il lui avait avoué de but en blanc avoir perdu son badge d'accès. Un problème qui avait très facilement pu être éludé grâce à l'intervention de Malik puisqu'avec Yves, ils étaient amants. Et quand je l'avais appris, j'avais mieux compris pourquoi après la mort du scientifique, le vigile avait touché le fond avant de se trouver prêt à en découdre.

Quoiqu'il en avait été, si les choses entre eux avaient été différentes, il y avait eu fort à parier que le collègue de Jeanne n'aurait pas eu d'autre choix que de lui avouer sa bévue. Une confession qui aurait alors rendu plus difficile, voire impossible la mise en œuvre de la diversion qu'avait imaginé 13.V. Un stratagème qui allait finir par nous impliquer Fleur et moi.

- Lui aussi c'était un ami de lycée ? Avais-je demandé à Jeanne.

- Non, Yves était tout simplement le meilleur généticien que je connaissais, m'avait-elle alors répondu avant d'ajouter, je l'ai rencontré à l'institut Curie lorsque je faisais mon doctorat en biologie marine.

Toujours allongée sur le lit et dans une inertie qui m'avait laissé a pensé qu'elle n'y arriverait jamais, Jeanne était parvenue à ramener son talkie-walkie jusqu'à sa bouche et ce faisant elle avait dit à l'attention du vigile.

- Jeanne à Malik. À toi, mais au lieu de la réponse habituelle, il n'y avait eu que du silence. Une absence de vie qui au regard des circonstances était vite devenue inquiétante. Jeanne à Malik. Malik est-ce que tu me reçois ? À toi, avait alors insisté l'autre avant de rajouter, RAS de notre côté, on se retrouve au laboratoire. Mais Malik si tu m'entends, réponds-moi s'il te plaît. À toi.

Sauf qu'encore une fois, rien ne s'était produit et dans un timing plus-que-parfait, avec la scientifique nous nous étions dévisagés avant de nous précipiter pour atteindre la sortie de la pièce. Une fois la porte de verrouillée dans son dos, Jeanne s'était mise à courir pour rejoindre le laboratoire et en l'imitant nous étions vite arrivés au niveau de son entrée.

Lorsqu'à nouveau ma partenaire était venue faire usage de son Talkie-Walkie pour demander à Malik de lui répondre enfin, l'instant d'après elle avait subitement marqué le pas avant de stopper net. Et en évitant de justesse de lui rentrer dedans, j'avais fait de même.

Alors que j'avais été prête à questionner Jeanne sur ce qu'il était en train de se passer, en se tournant vers moi, d'une main, elle m'avait fait comprendre que je devais garder le silence.

Quand d'un geste fébrile, la scientifique était venue appuyer sur le bouton de mise en communication de son talkie-walkie, alors que je n'aurai jamais du l'entendre, j'avais été capable de percevoir le fameux bip que fait l'autre appareil pour prévenir son propriétaire qu'on souhaite lui parler.

Sauf qu'en me parvenant étouffé au travers de la porte des toilettes dont j'étais très près, le son reconnaissable entre mille m'avait fait comprendre que Malik ne pouvait que se trouver derrière. Du moins, son Talkie-Walkie.

L'instant d'après, la porte des toilettes s'était ouverte en grand et dans un réflexe qui ne pouvait être que le fruit d'un entraînement militaire, Jeanne avait brandi son pistolet hypodermique comme si elle avait été prête à tirer. Mais lorsque l'imposante silhouette de Malik était apparue derrière, ma partenaire s'était interdit ce passage à l'acte.

En voyant la scientifique se jeter dans les bras du vigile, j'en avais de suite été émue, sauf que ma réjouissance avait été de courte durée puisqu'aussitôt Jeanne s'en était écartée avant de se mettre à lui donner de petites tapes sur la poitrine.

- Mais putain Malik, merde ! Pourquoi tu ne répondais plus ? Tu m'as filé la trouille de ma vie, lui avait alors craché la scientifique.

- Excuse-moi Jeanne, j'avais laissé mon Talkie sur le rebord du lavabo, s'était empressé de lui répondre l'autre de la voix la plus douce qu'il ait pu faire ce qui avait été loin d'être une chose aisée.

Au moment où la tension entre les deux adultes était finalement retombée, la scientifique avait demandé au vigile s'il avait pu terminer d'isoler la partie ouest de la construction ce à quoi il avait acquiescé en réitérant ses excuses. Et une fois la porte des toilettes de fermée à clé, nous étions tous retournés dans la salle de réunion.

Lorsque Jeanne avait recontacté Maria pour lui annoncer la bonne nouvelle, même malgré l'absence d'angoisse que j'avais pu ressentir en me disant que cette fois-ci le pire était certainement derrière moi, un doute avait subsisté. Une rengaine qui dans d'autres circonstances n'aurait pas duré bien longtemps, mais qui dans ce lieu impie qu'avait été le sous-sol de la ferme des 20000 m'avait soudain rappelé que rien dans la vie ne se déroulait jamais comme on l'avait prévu.

Impitoyable  [ Terminée ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant