24. Fermez-là Jeanne

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À cause de l'état second dans lequel étaient restés les deux adultes, Fleur avait dû se remettre à hurler pour qu'ils lui répondent enfin et que surtout, ils nous aident à sortir du conduit d'aération. Sauf que très vite, en nous parlant Jeanne et Malik nous avaient fait comprendre que de rebrousser chemin était la meilleure des solutions.

Bon gré mal gré, c'est ce que nous avions fini par faire et une fois de retour dans le bureau : cette pièce sans fenêtres apparentes qui avait signifié pour mon amie et moi l'échec cuisant de notre tentative d'évasion, Jeanne s'était dite réticente à nous en ouvrir la porte.

Lorsqu'elle nous avait demandé de lui promettre que nous ne chercherions plus à nous échapper, comme à mon habitude je m'étais tourné vers Fleur dans l'espoir qu'elle répondrait à ma place. Mais avec une lourdeur inhabituelle, je l'avais vue s'asseoir sur le coin du bureau.

- Alors ? Avait tôt fait de relancer Jeanne dont l'impatience s'était fait ressentir dans l'intonation qu'avait soudain prise sa voix.

Sauf que j'avais eu beau attendre une réaction de ma meilleure amie, elle n'était jamais venue et en me faisant violence, j'étais parvenue à articuler un, oui, c'est promis, plus inquiète de l'état dans lequel s'était trouvé Fleur que quoi ce soit d'autre.

Après avoir été déverrouillée, la porte du bureau s'était ouverte en grand et à l'embrasure, la fine silhouette de Jeanne puis celle beaucoup plus imposante de Malik était apparue. Quant au lieu de s'adresser à ma meilleure amie, Jeanne s'était tournée vers moi pour me parler, j'avais de suite compris qu'elle avait remarqué l'état second dans lequel elle s'était trouvée.

- Je ne connais pas encore ton prénom, m'avait alors dit la scientifique d'une voix traînante avant d'ajouter, est-ce que tu veux bien me le donner s'il te plaît ?

- Anna, lui avais-je répondu dans un souffle.

- Anna, est-ce que tu as vu ce qu'il s'est passé ? M'avait-elle demandé du tac au tac ce à quoi j'avais acquiescé d'un timide hochement de la tête. Puis, elle avait ajouté, est-ce que tu veux bien me le raconter s'il te plaît ?

- Pourquoi vous n'utilisez pas la vidéo surveillance pour le découvrir ? Lui avais-je alors répondu d'un ton cassant tout en pensant que c'était ce qu'aurait aimé lui dire Fleur si elle ne s'était pas trouvée dans un tel état.

Mon interlocutrice s'était presque mise en chemin et Malik avait été prêt à lui emboîter le pas, lorsque mon amie était subitement sortie de son absence de près d'une minute et ce faisant, je l'avais vu s'élancer vers Jeanne comme si elle avait voulu en découdre.

- Putain, mais vous avez foutu quoi ? Qu'est-ce que vous avez branlé dans votre laboratoire à la con ?

Immédiatement, la saillie de ma meilleure amie avait fait bondir le vigile et en se précipitant vers elle, il était venu s'interposer pour faire barrage de tout son corps. Cependant, malgré le fait qu'il était parvenu à empêcher que Fleur ne s'en prenne physiquement à Jeanne, il ne l'avait pas fait taire pour autant.

- Elle les a massacrés. Elle les a réduits en bouillie. Comme ça. Comme s'il n'était rien, avait-elle ensuite hurlé.

Sauf que la fulgurance du réveil de mon amie était retombée aussi sec et après qu'elle se soit effondrée en larme sur le sol, je l'avais vu s'y allonger avant de retrouver en position foetale.

Sans me soucier la moindre seconde de la réponse qu'aurait pu lui faire la scientifique, je m'étais assise à côté de Fleur et avec la tendresse d'une mère, je l'avais prise dans mes bras avant de me mettre à la consoler.

Quand Jeanne avait demandé à Malik de rester avec nous pendant qu'elle irait consulter les archives de la vidéo surveillance, j'étais venu foudroyer la scientifique d'un regard sombre et tout en le faisant je lui avais dit.

- Cette chose qui a attaqué vos collègues. Elle n'avait rien d'une truie ou même d'un simple cochon. On aurait dit une énorme limace, sauf qu'elle se déplaçait beaucoup trop rapidement. Comme aurait pu le faire un gorille.

En m'écoutant prononcer cette association de mots, je me souviens que sur le moment j'avais eu du mal à croire les images qu'ils venaient de former dans ma tête. Surtout, en les entendant, Jeanne avait eu un brusque mouvement de recul. Un geste qui avait trahi chez elle une peur ineffable.

- Ça y est, vous êtes fière de vous, avait soudain craché le vigile à l'attention de la scientifique avant d'ajouter plus agressivement encore, maintenant, vous aurez leur mort sur la conscience.

Malik et Jeanne venaient de s'engager dans un combat de regard, quand Fleur s'était à nouveau manifestée, sauf que cette fois-ci, les mots qu'elle avait psalmodiés avaient été dits sans aucune conviction dans la voix. Comme ci en tirant les cartes, elle était parvenue à lire dans notre avenir à tous et que ce dernier était déjà scellé.

- Il a raison. Vous êtes responsable de leur mort et bientôt vous le serez aussi pour les nôtres.

À ma grande surprise, face à la clairvoyance de mon amie, il n'y avait pas eu de surenchère de la part des deux adultes et pour cause : que ça ait été une histoire d'heure ou de minutes, même eux nous avaient déjà vus morts.

Quoiqu'il en avait été, l'instant d'après Malik était sorti du bureau avant que Jeanne ne le rejoigne dans le couloir et sans que nous ayons eu à bouger de notre position, moi et Fleur avions pu suivre leur échange musclé.

- Je vous avais prévenu que de se lancer à la recherche de cette chose c'était du suicide, mais vous les rats de laboratoires vous n'en faites toujours qu'à votre tête, avait commencé par dire le vigile ce à quoi la scientifique avait répondu par, Malik, quand tout sera fini, vous pourrez me faire tous les reproches que vous voudrez, mais pour l'instant, la priorité est de mettre un terme au protocole d'isolement alors s'il vous plaît, reprenez-vous.

- Allez vous faire foutre Jeanne. Restez si ça vous chante, mais moi, je me casse d'ici, avait rétorqué avec virulence le vigile.

- Malik, vous savez très bien que c'est impossible, lui avait aussitôt répondu la scientifique avant d'ajouter, tant que nous ne l'aurons pas isolée, ni vous ni moi, ni personne d'autre ne pourra partir d'ici, ce à quoi l'intéressé avait réagi dans un cinglant, pas si je vous prends votre putain de badge à la con.

Sauf qu'encore une fois, même face à ce genre de menace, Jeanne ne s'était pas dégonflée pour autant et d'un ton toujours très calme, elle avait dit avec dans la voix une forme de résignation.

- Même si je vous le donnais, ça ne changerait plus rien. Je suis la seule ici à pouvoir confirmer à ceux qui vont venir que le protocole d'isolement est terminé, alors le mieux que vous pouvez faire pour l'instant, c'est de m'aider.

Après les derniers mots de la scientifique, le silence entre les deux adultes était retombé aussi dru qu'une pluie de balle et depuis le bureau où moi et Fleur nous tenions toujours très tranquilles, j'avais cru comprendre que leur dispute avait cessé pour de bon.

Mais ce qu'était venue ajouter Jeanne en voulant faire amende honorable avait littéralement fait sortir Malik de ses gonds.

- Malik, je suis vraiment désolé.

- Fermez-là Jeanne. Fermez-là ou je vous jure que vous forcerais à mettre fin à cette putain de quarantaine et ça que le protocole d'isolement soit terminé ou non, avait soudain dit l'autre tout en se contenant avant que la lourdeur de ses pas ne retentisse tel le glas lorsqu'en s'éloignant, ses semelles de chaussures s'étaient mises à claquer fort sur le sol du couloir.

Impitoyable  [ Terminée ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant