47. Comme un putain de cancer

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Comme arrivée au bout d'une émotion que j'aurai volontairement étirée à son maximum dans l'espoir qu'elle casse et que donc je n'ai plus jamais à la ressentir, ça avait été épuisé mentalement que j'avais fini par marquer une énième pause dans mon récit d'adolescente.

Alors que Jeanne ne m'avait toujours pas lâchée du regard, je m'étais soudain mise à réfléchir. À réfléchir en double. En triple. En quadruple même. Puis, j'étais arrivée au chapitre final du livre de la vie de Fleur. À la conclusion de mon témoignage. Une pensée que j'avais dû couver depuis toujours, car en la disant à haute voix elle m'était apparue à la fois si juste et pourtant si amère.

- C'est fou comment une vexation faite quand on est enfant peut vous donner envie d'en finir avec la vie et aussi une raison de vous y accrocher à tout prix. Après qu'elle ait fait sa tentative de suicide, Fleur s'était engagé pour une cause qui la dépassait et pourtant, ce qui l'avait poussée à le faire était profondément égoïste. Et petit à petit, je crois qu'elle s'en était rendu compte. Elle s'était rendu compte de son hypocrisie et ça l'a foutue en l'air. Ça la détruite de l'intérieur comme un putain de cancer. Et jusque dans la mort. Jusque dans ses derniers instants, elle aura tout fait pour se prouver à elle-même et au reste du monde que ci elle avait combattu le spécisme, c'était par altruisme et non par nécessité. Par besoin de donner à sa tentative de suicide un sens. Une raison de continuer à vivre le plus longtemps possible avant que la fin n'arrive. Avant que toute sa rage, sa tristesse et sa révolte ne finissent par la consumer.

Après être parvenue à cracher autant de vérité d'un bloc, je m'étais soudain rendu compte qu'en définitive, je n'avais pas échoué à sauver ma meilleure amie. J'avais seulement trouvé de trop nombreuses manières de ne pas l'empêcher de mourir et pour cause : depuis ses treize ans, Fleur avait été emportée dans une spirale de comportement qui venait de la faire tuer et ironiquement, dans son délire elle était allée à l'encontre même de ce qu'était l'anti-spécisme.

Une idéologie qui postule qu'il n'existe aucune hiérarchie entre les espèces, et plus spécifiquement aucune supériorité des êtres humains sur les animaux. Sauf qu'en se sacrifiant pour espérer aider 13.V à s'échapper de cet endroit, mon amie avait enfreint cette règle. Elle avait fait passer la vie d'une autre espèce avant la sienne et au regard du danger que représentait 13.V, elle avait même cherché à sacrifier toute vie sur Terre.

Sans comprendre pourquoi, ma dernière phrase avait soudain fait se redresser Jeanne sur sa chaise, l'instant d'après je l'avais vue allumer sur l'ordinateur portable l'interface de visioconférence et quand le visage de Maria était apparu sur le grand écran, en plus de lui raconter tout ce qu'il venait de se passer, la scientifique l'avait assaillie de questions parce qu'elle voulait comprendre. Elle voulait savoir comment sa cheffe, son amie, mais aussi son amante avait pu lui mentir à ce point. La mettre en danger de la sorte et presque la faire tuer par ces hommes en arme.

Mais très vite, en voyant la consternation se dessiner sur le visage de son interlocutrice, Jeanne avait cessé ses accusations, car elle avait compris que Maria n'avait jamais été mise au courant des intentions malveillantes de ces soi-disant secours. Pire encore, lorsque la dirigeante avait cherché à les joindre pour obtenir des explications, nous avions toutes découvert que non seulement leur véhicule avait été attaqué, mais que surtout ils étaient tous morts et que le badge d'accès qui avait permis de lever la quarantaine côté extérieur avait disparu.

Cependant, alors que le choc que venait de laisser dans la pièce cette énième déconvenue aurait dû nous rendre atones durant plusieurs minutes, ça n'avait pas été le cas. Notre état de sidération n'avait pas eu le temps de prendre racine et d'interminables questionnements qui allaient rester pour l'instant sans réponses nous avaient soudain animés d'une énergie nouvelle.

- Si les véritables secours ont été attaqués par ces hommes, qui sont-ils ? M'étais-je exclamée la première.

- Des mercenaires, m'avaient alors répondu en coeur les deux adultes.

- OK, mais qui les a engagés ? Leur avais-je en suite demandé du tac au tac.

- La concurrence, avaient dit Jeanne et Maria, sauf qu'encore une fois, si ça avait bien été le cas, qui avait pu les mettre au courant de l'intervention des véritables secours ? Y avait-il eu une faille de sécurité ? Un piratage ? Une taupe ?

Rapidement, une hypothèse avait été formulée et un bouc émissaire avait été tout trouvé : 13.V lui-même, ce qui avait amené encore davantage de questions sans réponses puisque, quel aurait bien pu être son intérêt de prévenir à la fois la concurrence en plus de nous utiliser avec Fleur pour créer une diversion lui permettant de s'échapper de son enceinte de confinement ?

Était-ce la seconde phase de son plan d'évasion ? Ou alors 13.V était-il parvenu à négocier avec un antagoniste dont nous ignorions tout un quelque chose dont il nous était impossible de définir le moindre contour ?

L'interminable brainstorming dans lequel les deux adultes et moi venions de nous engagé avait fini par se tarir de lui même lorsqu'à l'évidence il était devenu inutile d'y chercher la moindre résolution et ça pour une simple et bonne raison : tout ce qui avait importé sur le moment avait été de trouver au plus vite un moyen grâce auquel avec la scientifique nous allions parvenir à sortir d'ici saines et sauves.

Sauf que dernièrement, nos alternatives s'étaient amenuisées de façon drastique et alors que Maria venait d'avoir la confirmation qu'une autre équipe de sauvetage était en route et que d'attendre cette aide était la meilleure option, une alarme s'était mise à rugir dans la salle de réunion.

Avec précipitation, j'avais soudain vu Jeanne sortir de la pièce et après avoir eu avec Maria un regard entendu, je m'étais lancée aux trousses de la scientifique. Lorsqu'elle avait atteint l'extrémité du laboratoire, j'avais tout d'abord cru qu'elle allait fuir ses responsabilités, mais en la voyant déverrouiller avec son badge une porte avant de la franchir, j'avais su que ce ne serait pas le cas.

En suivant Jeanne, j'étais à mon tour entrée dans ce que j'avais immédiatement reconnu comme étant un local de vidéo surveillance : un espace étriqué dans lequel des dizaines d'écrans m'avaient donné une vision panoptique de toute l'installation du sous-sol de la ferme des 20000.

Quand comme un aimant, l'une des images avait attiré à elle mon regard, il ne m'avait pas fallu longtemps pour comprendre que contre toute attente, ceux qui avaient été envoyés dans un but mortifère étaient parvenus à forcer l'ouverture de l'entrée B. Une échappatoire que Jeanne s'était empressée de refermer sur eux en plus de la barricader avec un gros rideau de fer.

Une précaution qu'elle avait dû prendre en se disant que ça lui laisserait suffisamment de temps pour trouver un autre moyen de sortir d'ici, sauf qu'à la manière qu'avait eue la scientifique de venir s'effondrer sur la seule chaise de la pièce, j'avais compris que ces mercenaires avaient mis à mal tous ses scénarios, même le plus pessimiste.

Impitoyable  [ Terminée ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant