15. Men are trash

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En quittant la pièce où s'était trouvé le stock de produits chimiques, il devait être dans les environs d'une heure du matin et la fatigue s'était soudain abattue sur moi comme un coup de massue. Je n'avais alors eu plus qu'une seule envie en tête : rentrer chez moi pour me coucher, mais Fleur en avait décidé autrement.

Sans même échanger un regard avec moi, ma meilleure amie s'était mise à avancer pour s'enfoncer toujours davantage dans les entrailles de la ferme des 20000 et en la suivant tout en continuant de la filmer, nous étions vite arrivées à un croisement où fichées dans les murs, trois panneaux nous avaient indiqué quelle en serait la destination : Enclos, Laboratoire et Fabrique.

Fleur et moi avions pris le chemin qui nous avait le plus intéressé et qui avait désigné l'enclos et pour cause : inconsciemment ou non, en choisissant immédiatement cette option, nous espérions encore parvenir à trouver ce qui depuis le début de notre expédition avait cruellement fait défaut : des truies et leurs porcelets.

Mon amie venait tout juste de presser le pas, et tant bien que mal je m'étais employée à ne pas la laisser me distancer en plus de ne pas trop la faire sortir du cadre de mon image quand une nouvelle porte d'accès avait mis fin à notre progression. Comme pour les précédentes, elle était associée à un lecteur de badge et sans tergiverser, Fleur l'avait déverrouillé avant de la pousser pour l'ouvrir en grand.

La seconde d'après, nous avions enfin trouvé ce qui nous avait manqué. Dans un grand espace délimité par des barrières métalliques, étaient retenues une vingtaine de truies. Quatorze pour être très exacte.

Maintenant que j'écris tout ça, je me souviens qu'en la regardant, Fleur avait eu un long et puissant soupire de soulagement ce qui m'avait fait prendre conscience que depuis notre arrivée elle avait été en apnée pour ne pas craquer et renoncer. Cependant, en filmant son visage alors qu'elle s'était rapprochée des bêtes, l'expression que j'avais pu y lire dessus m'avait fait me dire que ses attentes venaient d'être déçues, car les truies que nous avions trouvées ne semblaient ni avoir été maltraitées ni mal nourries.

La seconde d'après, il y avait eu comme une hésitation de la part de mon amie, mais très vite elle s'était mise en tête de libérer les prisonnières ce à quoi j'avais consenti sans réfléchir. Puisque l'entrée de l'enclos où étaient enfermées les truies n'était pas cadenassée ou même verrouillée d'une quelconque manière, Fleur n'avait eu qu'à retirer un loquet pour l'ouvrir.

Sauf que rien ne s'était passé. Les bêtes n'avaient pas fui et à bien les regarder me fixer, je m'étais de suite dit qu'elles n'étaient pas prêtes à le faire d'aussitôt.

Lasse que j'avais été d'attendre que l'une d'elles finisse par montrer l'exemple aux autres, j'avais alors quitté des yeux l'écran intégré de ma caméra et ce faisant j'avais échangé avec mon amie un regard d'incompréhension. Puis, je l'avais vue se mettre en action.

- Allez les filles ! Vous jouez à quoi là ? La liberté vous attend, sortez d'ici ! avait-elle tout d'abord commencé par héler avant d'insister davantage avec dans la voix une forme de résignation, bon, ça suffit maintenant, il va falloir y mettre un peu du vôtre si vous voulez retrouver l'air frais. Allez, oust sortez d'ici où c'est moi qui vais me charger de vous faire sortir, et ça que vous le vouliez ou non.

Cet instant cocasse, presque ubuesque tellement il avait été inattendu et que j'avais pris un malin plaisir à cadrer en plan large avait rapidement laissé place à des actions plus concrètes de la part de Fleur. En joignant les actes à la parole, elle s'était mise à pousser par l'arrière une première truie avant de me demander de l'y aider.

Pensant les encourager à moins que ça ait été pour leur faire peur, nous avions ensuite frappé dans nos mains. En ultime recours, mon amie s'était accroupie avant de se mettre à quatre pattes sur le sol et ce faisant, tout en grognant elle avait rampé jusqu'à la sortie de l'enclos, mais rien n'y avait fait. Les truies étaient restées sans bouger.

Presque une minute s'était écoulée quand j'avais fini par quitter du regard l'écran de contrôle de ma caméra pour dévisager Fleur et je l'avais alors sentie prête à hurler des insultes. Des mots sales qui auraient eu pour cible ces bêtes qui venaient de refuser la liberté que nous leur avions offerte sur un plateau d'argent.

Quand j'avais zoomé avec mon objectif pour filmer en gros plan le regard impassible de l'une des truies, mes oreilles avaient été agressées par un son si perçant qu'il avait manqué de me faire lâcher ma caméra. Après quoi, j'avais failli être écrasé par la nuée de bêtes qui s'était précipitée vers moi.

En voyant le troupeau sortir de l'enclos resté ouvert, je m'étais tout de suite tournée vers Fleur et en la fusillant du regard, j'avais immédiatement compris ce qu'il venait de se passer : pour faire enfin bouger les truies, elle avait utilisé une corne de brume qu'elle tenait toujours en main.

J'avais tout d'abord pensé à l'engueuler, mais lorsqu'elle s'était précipitée pour rattraper les fuyardes, de voir le large sourire qui avait illuminé son visage m'en avait dissuadé.

- Anna ! Mais reste pas plantée là. Viens m'aider ! Vite ! m'avait-elle hurlé et je m'étais exécutée.

En moins d'un quart d'heure, le tout couronné de nombreux fous rires, de chutes et malgré l'escalier tortueux qui nous avait rendu la tâche plus difficile encore, toutes les truies qui avaient été enfermées dans les entrailles de la ferme des 20000 avaient retrouvé la liberté. Toutes à l'exception de l'une d'elles qui en nous échappant était allée se perdre dans le dédale du sous-sol.

Alors que nous avions été prêtes à nous lancer à sa recherche, mon genou, celui que je m'étais blessé quelque mois auparavant m'était devenu douloureux. Un mal lancinant qui m'avait malgré tout procuré un étrange sentiment de satisfaction, sauf qu'il nous avait forcées Fleur et moi à faire une halte.

Je ne le savais pas encore, mais cette décision de ne pas immédiatement partir retrouver cette truie nous serait par la suite préjudiciable. Pire, elle allait à bien des égards précipiter notre destin vers une issue fatale. Ne dit-on pas que le diable se cache dans les détails ?

Quoiqu'il en avait été, sur le moment moi et mon amie étions venues nous asseoir à l'entrée du sous-sol sur les premières marches de l'escalier en colimaçon. Et en le faisant, je m'étais aidé de la rampe ce qui avait fait rire Fleur.

- Ce n'est pas marrant tu sais, lui avais-je dit en grimaçant ce à quoi elle avait répondu dans un mea-culpa, excuse-moi, c'est juste que je repensais à comment tu t'étais fait mal.

- Par ta faute, tu veux dire ? Avais-je alors protesté du tac au tac.

- Non. Faux. Pas ma faute. Tu n'avais qu'à pas accepter mon défi, c'est tout, m'avait-elle dit en retour.

- J'avoue, avais-je finalement concédé, car Fleur avait eu raison puisque dans cette affaire, j'avais été la seule fautive et pour cause : de vouloir sauter par la fenêtre de sa chambre tout en étant ivre n'avait pas du tout été un choix judicieux.

- C'était y'a quoi, au moins six mois maintenant et ça te fait toujours mal ? m'avait-elle ensuite demandée.

- En général, c'est quand le temps est humide, lui avais-je répondu avant d'ajouter, putain, je suis sûr que c'est mon médecin qui a fait un mauvais diagnostic. Ce vieux dégueulasse aux mains baladeuses. Heureusement qu'il a pris sa retraite sinon je te jure que j'aurai fini par lui en coller une.

- Ouais, Men are trash, s'était empressée de me dire Fleur et alors que l'accès vers l'extérieur resté ouvert avait laissé passer entre nous un courant d'air frais et revigorant j'avais acquiescé à ce mantra tout en lui disant, putain c'est clair, Men are fucking trash.

Impitoyable  [ Terminée ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant