Avec Jeanne et Malik, nous n'étions pas parvenus à trouver l'endroit où 13.V se cachait, mais en isolant pièce par pièce l'ensemble de l'installation construite sous la ferme des 20000, nous avions au moins réussi à faciliter la tâche de ceux qui allaient bientôt arriver pour s'en charger.
Même si le début de mon expédition avec Fleur avait commencé depuis moins de trois heures, tout avait été pour moi comme si dans cet endroit, le temps était passé en accéléré et je m'étais soudain sentie sale d'une crasse que je n'expliquais pas. Je n'avais alors eu en tête plus qu'une seule idée : rentrer chez moi pour y prendre un long bain d'eau chaude.
À des années-lumière de ce qui pour l'instant n'avait encore été qu'une chimère, par dépit j'avais demandé à Jeanne la permission de me rendre aux toilettes et après qu'elle m'y ait autorisé, je l'avais vue me tendre la clé pour en ouvrir la porte. Sauf qu'en voulant la saisir, Malik s'y était opposé. Du moins, il avait prétexté ne pas vouloir me laisser y aller seule tout en proposant de m'accompagner.
Au vu des circonstances, j'avais de suite compris l'avenance dont le vigile venait de faire preuve à mon égard, mais comme les toilettes ne s'étaient trouvées qu'à quelques mètres à peine de la sortie du laboratoire, j'avais décliné son offre et après avoir saisi des mains de Jeanne la clé, je m'étais mis en chemin.
Sur le moment, Malik n'avait pas montré plus d'opposition que ça à ce que finalement je m'y rende seule, cependant à la manière qu'il avait eue de me fixer lorsque je m'étais éloignée de lui j'avais senti dans son regard bien plus qu'une simple réticence à ce que je le fasse. Comme un présage qui n'allait rien annoncer de bon.
- Sois prudente et pense bien à fermer à clé derrière toi, m'avait dit Jeanne alors je venais tout juste de quitter de la salle de réunion.
Après avoir traversé les enfilades de tables, de plans de travail et d'ordinateurs en fonctionnements, j'étais sortie du laboratoire et en entrant dans les toilettes, la première chose que j'avais faite avait été de suivre le conseil de la scientifique.
Lorsque je m'étais retournée vers l'intérieur de la pièce, j'avais pu voir ma propre image : celle que venait de me renvoyer le reflet d'un immense miroir suspendu au-dessus des lavabos et pendant près d'une trentaine de secondes, j'avais été incapable de me reconnaître et à raison : la jeune fille de dix-sept ans que j'étais avant de me lancer dans cette expédition clandestine avait depuis été comme passée à la machine à laver.
En plus d'être devenu gras, mes cheveux s'étaient par endroit ébouriffés et mon regard s'était cerné de bleue. Surtout, mes traits de visages qui avaient été durcis par les épreuves m'avaient fait me sentir plus vieille d'une bonne dizaine d'années.
De mes deux mains, je m'étais instinctivement mise à me frotter les yeux dans l'espoir que ça ferait réapparaître celle dont je me souvenais, mais non et en le fixant davantage le reflet de cet autre moi qui me dévisageait en retour m'avait fait me sentir plus laide que je ne le serais jamais.
Fort heureusement pour mon petit ego, dans un battement de cil salvateur j'étais parvenu à briser le mauvais sort et en ouvrant le robinet d'eau face à moi pour m'asperger le visage je m'étais de suite sentie mieux. Puis, après m'être recoiffé, j'étais venu prendre quelques feuilles d'essuie-tout pour en les mouillant nettoyer sous mes aisselles d'où émanait une forte odeur de sueur.
Quand je m'étais à nouveau regardée dans miroir, ça n'avait pas exactement été comme ci tout était rentré dans l'ordre, mais je m'étais au moins un peu retrouvée. Sauf qu'en me tournant vers les cabines de toilettes pour m'y rendre, une angoisse terrible s'était soudain abattue sur moi, car au niveau du seuil de l'une des portes, à peine visible à cause du peu de lumière qui y avait filtré, je venais d'entr'apercevoir un pied d'homme à la peau basanée.
Très vite, en me mettant à faire dans ma tête le décompte des personnes toujours en vie autour de moi, j'avais été bien incapable de dire à qui pouvait appartenir ce bout d'être humain qui ne portait ni chaussures ni chaussettes.
En me précipitant vers la sortie des toilettes, j'avais eu bon espoir de parvenir à rejoindre au plus vite les deux adultes pour leur faire part de ma découverte, mais après en avoir déverrouillé la serrure, la porte s'était violemment ouverte, laissant apparaître sur son seuil l'énorme gabarit de Malik.
- Malik, il y a quelqu'un. Là, dans l'une des cabines de toilettes, avais-je alors dit au vigile avant de lui tourner le dos afin de lui indiquer l'endroit incriminé d'un doigt pointé vers ce dernier.
Cependant, alors que j'avais attendu qu'il réagisse au quart de tour, Malik n'en avait rien fait. Pire encore, au moment ou j'étais venue le dévisager, sa tête s'était légèrement inclinée sur le côté comme aurait pu le faire un prédateur toisant sa future proie.
Un instant seulement, j'avais cru que le vigile finirait par faire ou dire quelque chose, sauf que malgré mes invectives l'invitant soit à me répondre, soit à me laisser m'en aller pour que je puisse prévenir Jeanne, il n'en avait rien fait. Il était resté là, à boucher l'unique sortie de la pièce.
Lorsque finalement j'avais décidé d'avancer coûte que coûte vers lui tout en espérant que ça le forcerait à se pousser, Malik avait fait tout l'inverse de ce que j'attendais de lui et en le voyant franchir le seuil de la porte des toilettes, il m'avait obligé à reculer de plusieurs pas en arrière.
Je le sais à présent, mais de la suite de cette confrontation, je n'aurais jamais dû en avoir un souvenir aussi net si dans un timing plus-que-parfait Jeanne n'était pas intervenue, car le vigile était venu pour me tuer.
En surgissant dans le dos de Malik, une arcade sourcilière en sang, la scientifique l'avait frappé d'un coup bien appuyé avec la pointe de son aiguillon électrique et après avoir lâché un puissant râle, le vigile s'était effondré sur le sol.
Sans même attendre une injonction de sa part, je m'étais précipité vers Jeanne et ce faisant, j'étais allé me cacher dans son ombre.
Quand Malik avait cherché à se redresser, la scientifique ne lui en avait pas laissé le temps et en le frappant à plusieurs reprises de sa lance électrique, il avait fini par perdre connaissance.
À cause de son effort physique d'une violence inouïe, ou bien avait-ce été en raison de ses blessures, Jeanne s'était soudain sentie mal et en la voyant tituber, je m'étais précipitée vers elle pour, en la retenant du mieux que j'avais pu, l'empêcher de tomber la tête la première.
- Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? Lui avais-je alors demandé, sauf que l'expression de fatigue que j'avais pu lire sur son visage s'était soudain mue en colère et sans prendre le temps de me répondre, Jeanne avait sorti de l'une des poches de sa blouse son pistolet Matador.
En rejoignant l'endroit où avait échoué Malik et après qu'elle se soit agenouillée près de lui, la scientifique était venue placer le bout du canon entre ses deux yeux.
- Jeanne, ne fais pas ça, lui avais-je alors lancé en la voyant faire. Puis, en me précipitant vers elle, j'avais saisi d'une main ferme la sienne mortellement armée avant d'ajouter, peu importe ce qu'il t'a fait, je suis certaine qu'il ne mérite pas que tu le tues.
Mais la scientifique n'avait pas retrouvé la raison pour autant et tout en se mettant à dévisager, prête à appuyer sur la gâchette de son Matador, Jeanne était venue forcer davantage à l'encontre de ma main, bien décidée à aller jusqu'au bout de son envie de tuer.
L'extrémité du canon était presque entrée en contact avec la partie basse du front de Malik, quand, ayant subitement repris connaissance, d'un puissant revers de la main, ce dernier était parvenu à désarmer Jeanne.
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Impitoyable [ Terminée ]
HorrorFleur et Anna, deux jeunes militantes anti-spécisme partent enquêter sur une ferme d'élevage porcin qui cache un horrible secret...