6 - chez le psy

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En vingt-et-une années d'existence, jamais je me suis retrouvé une seule fois chez le psy. Non pas parce que je n'en avais pas besoin. Je ne suis pas à ce point présomptueuse pour vous balancer que je n'ai jamais eu de problèmes. Au contraire. Je n'ai juste jamais osé franchir le pas. Psy chez moi ça sonne avec trouille. J'en ai la frousse. Je n'ai jamais compris comment tu pouvais parvenir à parler de tes soucis personnels en étant assis sur un fauteuil à regarder dans le blanc des yeux la personne en face avec son foutu calepin et son stylo.

C'est beaucoup trop angoissant pour moi.

Hélas, le directeur de la fac ne veut rien entendre. Après la tragédie qu'il s'est produite en ces lieux il y a deux ans – j'étais encore au lycée – il a décidé que tous les étudiants sans exception aient rendez-vous avec un psychologue trois fois par semaines. Ceux qui étaient déjà là pour parler de l'évènement traumatisant, et les nouveaux au cas où nous ayons des problèmes à faire parvenir.

Comme si j'allais confier ma vie à un inconnu avec un diplôme.

La rentrée a reprise depuis trois semaines et ça fait exactement ce même compte que j'ai évité mes rendez-vous obligatoires. Si je pensais passer inaperçue vu le nombre d'étudiants que nous sommes, j'ai rapidement déchanté car non seulement on a bel et bien remarqué mes absences mais en plus, tout le monde désormais le sait car on est venu nous interrompre en plein cours de littérature. Genre l'option que je préfère dans toute ma scolarité.

Résultat des courses : me voilà devant la porte de la salle où séjournes le psy pour je ne sais combien de temps, à attendre, bougonnant sur ma chaise.

En parlant du loup, la porte défraichie qui ne dirait pas non à un coup de peinture s'ouvre, laissant apparaître dans l'encadrement un visage beaucoup trop familier.

Je rêve !

— Evan ?!

Je crois halluciné devant un peu trop de coïncidence. D'abord au café, ensuite à l'appart et maintenant je le retrouve dans ma fac ? C'est quoi le message, là ?

Heureusement, je ne suis pas la seule à être stupéfaite. Les sourcils relevés, monsieur le psy est tout autant abasourdi par ma présence. Depuis que la rentrée a recommencée, je ne l'aie pas beaucoup vu à l'appart. Je commence à mieux saisir pourquoi. Je remarque que le contour de son œil a retrouvé son apparence ordinaire, de même que pour sa lèvre éclatée et son arcade sourcilière qui l'était tout autant.

Tueur de Latte est le premier à se reprendre, me reprenant d'un ton froid et professionnel :

— Mademoiselle Sullivan, vous nous faites enfin grâce de votre présence !

Je sens mes mâchoires se serrer devant ce ton sarcastique. Est-il vraiment obligé de souligner que je ne suis pas venue aux autres premiers rendez-vous ? Sérieusement ?

Psy ou pas, ça ne m'empêche en rien de lui lancer un regard noir. Auquel il répond d'un rictus narquois qui me déstabilise quelques instants. Puis comme si rien venait de se passer, il change une fois de plus d'expression, transformant son air moqueur en un air bien plus avenant, limite agréable.

— Entrez.

Sauf que je ne bouge pas de ma chaise d'attente. Je sais que n'y couperai pas. Pas cette fois mais c'est pas pour autant que je vais obéir bien sagement. En plus, je trouve ça ironique que le psy de ma fac se trouve être mon coloc qui rentre presque tous les soirs la gueule tuméfiée.

De nous deux, si quelqu'un a besoin de ces rendez-vous, c'est surtout lui.

Devant mon obstination un brin puérile, je dois bien l'accorder, Evan soupire.

Through your eyes (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant