9 - le jeu

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 — Nous allons faire un jeu.

J'hausse les sourcils, me demandant si je n'ai pas halluciné la phrase. Mais son regard franc m'indique qu'il a bien dit ce que j'ai entendu. Déconcerté par cette soudaine déclaration, je ne peux m'empêcher de répéter, étonné :

— Un jeu... ?

Evan hoche la tête et se recule contre le dossier de son fauteuil en cuir bien plus confortable que cette horrible chaise qui me broie la colonne vertébrale. Cela fait ma quatrième séance de rattrapage dans cette salle. Depuis que j'ai commencé cette thérapie obligatoire dicté par notre directeur pour tous les étudiants, je dois subir cette chaise et la présence de mon coloc que je supporte bien assez à la maison. Je n'ai pas décroché le moindre mot personnel à propos de moi-même. Je passe mes séances à lui renvoyer la balle, à dévier la conversation pour au final faire en sorte que ce soit lui qui parle et non moi. Seulement, Evan est psy et des cas comme moi apparemment, aussi obstiné à ne pas parler, il en a déjà eu face à lui. Alors lui non plus n'est pas entré dans mon jeu, revenant sans cesse sur ma personne.

Mais je n'ai pas desserrée les dents une seule fois.

— On a quoi ? Quatre ans pour jouer ? je rétorque sarcastique.

Toujours dans le contrôle et d'un professionnalisme qui m'énerve, Evan me répond tranquillement :

— C'est une version remixée du jeu « je n'ai jamais... ».

Bien que je ne sorte jamais en soirée, grâce aux livres je sais comment fonctionne ce jeu. Le but est de faire boire le plus possible la personne. Je n'en ai jamais été fan mais encore une fois, je dois seulement être une rabat joie qui « ne sait pas s'amuser ». Je renifle avec un je m'en foutisme nonchalant.

— Aux dernières nouvelles, il faut de l'alcool.

Evan esquisse un rictus narquois comme s'il était soudainement amusé de mon commentaire.

— J'ai dit que ce serait remixé, donc pas d'alcool.

— Alors quoi ? ne puis-je m'empêcher de m'y intéresser.

Ravi d'avoir attiré mon attention quelque part, il prend un malin plaisir à m'expliquer les nouvelles règles.

— Ca va plus être un Action/vérité pour tout dire.

Ce jeu aussi je connais. Comme le jeu de la bouteille également. Duquel j'en garde un très mauvais souvenir. C'était la première fois que je participais et ça a signé également ma dernière.

Je n'aime pas les jeux de ce genre. A chaque fois je suis celle qu'on prend pour cible et pas pour la bonne raison. C'est sans doute pour ça que j'ai cessé de me présenter à toutes sortes de soirée. Je sais comment ça fini et sur qui.

Je me renfrogne dans ma chaise maudite et lance un regard blasé à Evan.

— Je ne joue pas.

Mon changement d'humeur est perceptible. Et si je me fie à son sourcil qui se hausse imperceptiblement, il l'a aussi décelé. Je déteste le fait qu'il soit à ce point observateur, j'ai l'impression d'être tout le temps vulnérable face à lui.

Et je ne veux pas l'être.

Son regard de psy semble fouiller le mien à la recherche de réponse que je n'ai toujours pas révélé depuis la première séance. Ni même pendant notre repas de la soirée dernière qui remonte à quatre jours.

— Tu sais que plus tu t'obstineras à ne pas répondre, plus je vais persévérer. T'en as conscience au moins ?

Oui, j'en ai conscience et je ne sais pas si ça me réjouit ou m'effraie... Que quelqu'un soit assez buté pour creuser en s'intéressant à moi ou encore de la peur panique qu'on me juge avec trop de facilité comme la nana introvertie, la coincé de service, l'intello, la nerd et j'en passe.

Through your eyes (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant