18 - un baiser contre une gifle

41 5 0
                                    

Je les entends comme je les vois. Tous les deux. Je vois l'impuissance d'Evan comme la panique d'Ella. Par-dessus tout, je souhaiterai pouvoir parler mais c'est comme si les mots étaient bloqués au fond de ma gorge. J'ai l'impression que j'ai crié comme jamais dans ce putain de cauchemar alors qu'au final, c'est un long cri silencieux qui est sorti dans mon esprit.

Mais ça a quand même fait un blocage parce que depuis que je suis sortie de cet enfer, je n'arrive plus à sortir le moindre mot. Même pas les deux verres d'eau froides que je me suis pris y ont changés quoique ce soit.

Mes yeux sont plongés dans ceux d'Evan. C'est sur lui que j'essaie de me concentrer. Peut-être qu'avec ses talents de psy, il pourra faire quelque chose. Le sobriquet qu'il m'a attribué sort de sa bouche dans un murmure mais je ne parviens même pas à avoir une réaction. Comme un écho j'entends sa sœur de proposer de me foutre sous la douche mais il l'ignore. Ses mains plaquées contre mes joues me semblent brûlantes quant à l'intérieur je suis glacée. Son regard semble fouiller les miens et alors je le revois, dans mon cauchemar à me tourner le dos, me laissant seule avec son pote qui me menaçait toujours. C'est son prénom que j'ai hurlé mais il ne s'est pas retourné. Je me suis effondré en le suppliant de m'aider, de se tourner mais il m'a abandonné dans cette ruelle. Et alors là, Roy s'est métamorphosé pour être remplacé par Nick. Mon esprit m'a torturé et j'ai l'impression d'avoir crié pendant des heures non-stop quant au final, seul le silence est sorti. Evan s'éloignait toujours, de plus en plus, hermétique à m –

Mes yeux s'écarquillent subitement et alors j'oublie tout. Comme par magie, mon cauchemar s'évapore et tout ce que je sens ce sont ses lèvres si douces sur les miennes et alors mon cœur s'affole à nouveau mais pour une toute autre raison diverse, maintenant. Les nuages noirs disparaissent et alors que mon regard est toujours accroché au sien, mon bon sens revient et avec ça, mon corps qui se réveille de sa paralysie temporaire.

Ma main s'écrase contre sa joue, rompant le contact de nos bouches quand sa tête pivote sous le coup. Je crois entendre un hoquet qui vient sûrement d'Ella mais tout ce que je vois c'est son frère. Son frère qui est actuellement en train de... Sourire. Putain, c'est ça, oui. Il sourit alors que je viens de le gifler !

Qu'est-ce qui tourne pas rond chez lui, bon sang ?!

Je m'apprête exactement à lui poser la question quand les mots se coincent une fois de plus dans ma gorge alors qu'il encadre à nouveau mon visage entre ses mains qui sont si chaudes.

— Bon retour parmi les vivants, furie.

Ce ton à la fois délicat et narquois me font cligner les yeux comme si j'émergeais d'un mauvais rêve. Ce qui en soit est le cas mais –

— Hayley... ?

Je détourne les yeux d'Evan qui vient de se reculer et me relâcher pour regarder Ella qui m'observe avec une certaine appréhension. Si mes souvenirs sont bons, je crois bien lui avoir tordu le bras et elle m'a vu filer une claque à son frère. Comment la blâmer de rester méfiante ? Moi-même je le serai.

Mais elle doit s'apercevoir que je vais mieux car un sourire se dessine sur son visage et je la voie soupirer de soulagement. Pour autant, son frère recapte rapidement mon attention en se plaçant littéralement devant moi, me coupant la vue sur sa frangine. J'hausse un sourcil et je le voie à nouveau sourire.

Et ce sourire bon sang, je pourrai facilement m'y habituer.

— T'as perdu ta langue ? lâche narquoisement Evan.

Une fois de plus, j'arque un sourcil. Je suis bien tenté de lui dire qu'il vienne vérifier par lui-même pour s'en assurer mais je me retiens. C'est bien trop directe et je suis tout sauf aussi directe dans ses moments comme ça. Mais un sourcil se lève sur le visage de mon coloc et je remarque même ses lèvres frémirent comme s'il contenait un rire. Je fronce les sourcils avec deux questions en tête :

La première : à quel moment j'ai baissé les yeux plus bas que son nez, bon sang ?

La seconde : pourquoi il semble amusé ?

— T'aimerais le savoir, n'est-ce pas ?

Je pince les lèvres, contrarié qu'il lise en moi mais il ne me laisse pas plus de temps pour bouder et le maudire pour les prochains siècles à venir qu'il me prend de court avec un ordre où perce l'urgence dans sa voix :

— Dit quelque chose, Hayley.

Les trois mots sortent d'eux-mêmes :

— Tueur de latte.

Il sont sortis presque dans un souffle mais suffisant pour qu'il entende. Cette fois il se retient vraiment de laisser éclater son rire et à la place réplique :

— T'es rancunière pendant combien de temps au juste ? Je demande seulement par précaution.

Je dresse un sourcil en même temps que ma réponse :

— A vie.

Il fait style de grimacer.

— Mince, je vais devoir me racheter alors.

— Je serai curieuse de voir comment...

Il sourit à nouveau et cette fois plus aucune trace d'inquiétude qui marque son visage ni même ses yeux. Plus je rétorque, plus il semble soulager.

— Mhh, je pourrai me racheter en t'offrant un latte chocolat avec mousse de lait, t'en penses quoi ?

Je fais mine de réfléchir alors que j'ai déjà ma réponse.

— Ca pourrait me convenir.

Il acquiesce et alors j'aperçois son regard dériver une seconde de trop plus bas que mon nez. Et comme s'il n'y avait toujours pas Ella dans la même pièce, il glisse son pouce sur ma lèvre que mes dents relâchent. Je m'étais même pas aperçu que je la mordais. Mon cœur galope de plus belle dans ma poitrine alors que j'ai encore la sensation fugace de sentir sa bouche tout contre la mienne.

J'en viens à regretter de l'avoir giflé et j'aurai dû davantage en profiter. Ca ne se reproduira sans doute jamais. Pfff quel gâchis.

Evan ricane et je lui retourne un regard noir.

— Aurais-tu des regrets à tout hasard, furie ?

— Pas le moins du monde !

Il s'esclaffe de plus belle puis recule de quelques pas. Sans un mot de plus, il quitte la salle de bains, me laissent frustrée et clairement dégoûtée. Ella se racle la gorge, me rappelant par la même occasion sa présence. Et au vu du regard amusé qu'elle me lance, je sens mes joues rougir et je me détourne vers la douche. J'ai besoin de me réchauffer et rien de tel qu'une douche bien chaude pour ça.

— Ne dis rien, marmonné-je.

— J'en ai pas l'intention.

Je lève les yeux au ciel.

— Bien sûr.

— N'empêche, vous deux, je ne l'aurai pas cru.

Je manque de geindre, dépité.

— Primo, il n'y a pas de nous deux. Deuxio, je croyais que tu avais l'intention de rien dire, mmh ?

Elle rit.

— Je plaide coupable !

Je soupire puis enclenche le jet d'eau.

— Allez oust, du vent ! je congédie Ella.

Elle quitte la salle de bains en refermant derrière elle, hilare. 

Through your eyes (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant