À la fin du mois d'avril, Rosie reçut enfin un mot de lady Marianne qui la réclamait à Fitzwilliam Square. La nouvelle fut accueillie avec un immense soulagement, car elle avait presque abandonné tout espoir. Mais la proposition que lui fit lady Marianne la replongea dans l'angoisse.
- Ce sera une expérience formidable ! Je vais vous présenter à la saison 1913. Il est trop tard pour la saison actuelle, sans compter que beaucoup de gens sont toujours en deuil après la catastrophe du Titanic. Je vais vous présenter tout le monde. Je dirai que vous êtes ma pauvre cousine de la campagne, une orpheline que j'ai adoptée. Je suis certaine qu'avec mon aide, nous vous trouverons quelqu'un de bien.
Elle se frotta les mains d'un air satisfait.
- C'est la suggestion de ce cher Mr. Kearney. Poursuivit-elle. Je vous ai dit qu'il avait toujours d'excellentes idées. Et encore mieux, miss Killeen, ce sera une délicieuse supercherie à mener juste sous le nez de ma chère belle-sœur, lady Ennis. La meilleure entourloupe de tous les temps!
Rosie, sous le choc, s'affala dans un fauteuil en velours pour essayer de digérer l'information. Son premier réflexe était de protester. Comment lady Marianne osait-elle se servir d'elle pour se moquer de sa belle-sœur? Non, elle garderait le peu de dignité qu'il lui restait. Mais comme elle ouvrait la bouche, elle se découvrit muette. A quoi bon refuser ? Quelle alternative avait-elle? Valentin était parti. D'après lady Marianne, il avait décidé de rester à New York pour pas réconforter Sofia. Elle n'avait pas d'argent et d'avenir. Elle pensa à Bridie et son bébé à Foley Court. Allait-elle laisser sa fierté faire obstacle à la seule chose qui pourrait les sauver ?
- Merci, milady. Dit-elle, la tête basse. Je vous suis très reconnaissante de votre gentillesse.
Elle ne raconta pas tout le projet à Bridie, seulement que lady Marianne l'avait invitée à s'installer chez elle en attendant de lui trouver un emploi. Les yeux de Bridie s'emplirent de larmes, et Rosie la serra dans ses bras.
- Ah ! Ne pleure pas. C'est la meilleure chose pour nous tous. Et dès que j'aurai assez d'argent, je pourrai nous louer une chambre. Kate et toi viendrez me rejoindre. Je nous trouverai quelque chose de propre et respectable. Nous pourrons payer le médecin et...
La culpabilité l'envahissait tandis qu'elle parlait. Et si le plan de lady Marianne ne fonctionnait pas ? Ce serait donner de faux espoirs à Bridie... Mais elle insista :
- Cela prendra peut-être du temps, mais je ne t'oublierai pas. Je viendrai te rendre visite aussi souvent que je le pourrai.
En quittant Foley Court plus tard ce jour-là, cependant, elle décida de ne plus penser à ces faux espoirs et s'octroya le droit à un peu d'optimisme.
C'est ainsi qu'au début du mois de mai 1912, Rosie Killeen emménagea dans la chambre d'amis du 6, Fitzwilliam Square, et remit son avenir e les mains de lady Marianne Bellefleur.
Ses premiers mois à Fitzwilliam Square passèrent dans un tourbillon de visites dans les plus belles boutiques de Dublin, de leçons d'étiquette avec Mrs. Townsend, une matrone farouche dont le métier était de préparer les jeunes filles à leur première saison, et d'invitations pour le thé chez les connaissances de lady Bellefleur.
« Nous devons procéder prudemment. Avait dit cette dernière. Nous allons commencer par vous présenter des jeunes femmes peu influentes, juste pour voir comment vous vous en sortez. Puis nous pourrons passer aux maisons plus importantes. »
Elle avait insisté pour que Rosie se fasse appeler Rosalind.
« Rosie ou Roisin sont très jolis, mais ils ne conviennent pas du tout, ma chère, cela fait beaucoup trop irlandais. Nous devons faire bien attention à ce genre de détail. »
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Les Filles d'Ennismore
RomanceIrlande, début du XXe siècle. À huit ans, Rosie croise le chemin de Victoria, la jeune héritière du domaine d'Ennismore. Celle-ci s'ennuie et voit en la fille d'un métayer, l'amie dont elle rêve tant. Au grand dam de sa mère, elle arrive à convaincr...