Chapitre 37

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À la fin de l'été, la grossesse de Victoria ne fit plus de doute. Cela n'avait plus aucune importance, bien sûr, puisque tout le monde dans un rayon de quinze kilomètres était au courant. Elle n'aurait pas été étonnée que la nouvelle soit parvenue à Dublin. Il régnait une atmosphère glaciale dans la maison, sa mère et sa tante lui adressant à peine la parole tant le silence suffisait à exprimer leur désapprobation. Les domestiques aussi l'évitaient de leur mieux, même si elle avait surpris quelques regards compatissants de la part de Mrs. O'Leary.

C'était la réaction de son père qui lui faisait le plus de mal. Il refusait non seulement de la regarder, mais également de lui adresser la parole depuis que sa mère lui avait annoncé la nouvelle. Comme si elle était devenue invisible. Victoria avait conscience de l'ampleur de sa déception et, même si elle ne regrettait pas ce qu'elle avait fait, elle se désolait de le voir souffrir ainsi. 

Avec le mois de septembre, les journées fraîchirent et les soirées raccourcirent. Bientôt, elle ne pourrait plus aller se réfugier dans le jardin, comme elle l'avait fait tout l'été. Rosie ne serait plus jamais la bienvenue à Ennismore. Valentin n'avait pas donné de nouvelles depuis des mois et même si Sofia était gentille, elle se préoccupait uniquement de son jeune fils. Sa seule consolation était la présence de Céline, qui d'ailleurs appréciait de vivre dans cette campagne qui lui rappelait sa région.

Un après-midi que Victoria profitait des derniers rayons s du soleil estival pour lire dans le jardin, elle fut surprise par une bourrasque de vent et de pluie mêlés qui vint fouetter les arbres, disséminant des feuilles partout. Elle ferma son livre, releva sa jupe et se leva. Mais plutôt que d'obéir à son premier réflexe et de courir se réfugier dans la maison, elle resta là, le visage levé vers le ciel. Le souvenir des danses folles sous la pluie avec Rosie la fit éclater de rire et elle fut prise d'une irrésistible envie de danser. Seule l'idée des regards indiscrets des domestiques la retint.

Elle revint dans sa chambre trempée, l'eau dégoulinant de ses vêtements et formant de petites flaques sur le tapis.

- Céline ? Appela-t-elle. Pouvez-vous aller me chercher des serviettes ?

Elle entendit du bruit dans la petite pièce attenante et s'approcha.

- Céline, pourriez-vous...

Mais la surprise la figea.

- Miss Fox, que faites-vous ?

Immelda Fox avait passé une de ses robes et se regardait dans le miroir. À la hâte, elle défit le crochet dans le dos et retira la robe. Puis, sans regarder Victoria, elle commença à lisser le vêtement du plat de la main. Elle tremblait.

- Que faites-vous ? Répéta Victoria.

Immelda lui lança un regard plein de défi.

- Je regardais juste si je pouvais l'agrandir. Répondit-elle en indiquant du menton le ventre de Victoria. C'est votre mère qui l'a suggéré. Elle sait que je suis bonne couturière.

Victoria remarqua qu'une pile de robes était posée sur le divan.

- N'importe quoi ! Ma mère n'a rien suggéré de tel. Et puis ce sont mes robes d'été, je ne les porterai plus durant ma grossesse. Ce n'est pas la peine de les reprendre... Où est Céline ?

- La Française ? En bas dans la cuisine à boire un thé, comme d'habitude. Bonne à rien d'étrangère.

Il n'en fallait pas plus pour que Victoria perde son calme.

- Comment osez-vous parler de Céline ainsi ? Excusez-vous immédiatement !

Immelda marmonna quelque chose et voulut sortir, mais Victoria la retint.

Les Filles d'EnnismoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant