Dans la cuisine du cottage où les pitreries de Kate faisaient rire toute la famille, Rosie se tenait un peu à l'écart. Ses trois frères, tous grands et costauds, profitaient d'un de ces rares moments où ils étaient réunis à la maison, riant et blaguant, sous l'œil joyeux de leurs parents qui paraissaient maintenant petits et frêles à côté d'eux. Le feu de tourbe brûlait gaiement dans l'âtre, réchauffant cette soirée froide.
Malgré l'ambiance tranquille, familière et sûre, Rosie sentait une étrange distance entre elle et les autres. Elle aurait voulu reprendre sa vie d'avant, mais c'était impossible. Il s'était passé trop de choses depuis la dernière fois qu'elle s'était sentie bien ici. Elle avait parlé de Cathal à ses parents, sans rien omettre, même si elle savait qu'ils n'apprécieraient pas qu'elle ait vécu avec lui en dehors du mariage. Ils ne lui avaient pas fait le moindre reproche, cependant, ils la considéraient un peu différemment. En y pensant mieux, Rosie avait compris que ce sentiment de ne pas être à sa place était né bien avant son départ pour Dublin. La première fois qu'elle l'avait ressenti, c'était le jour où elle était allée à la grande maison pour suivre sa première leçon avec Victoria.
Soudain, des coups forts frappés à la porte du cottage la tirèrent de ses pensées. Ma alla ouvrir et Rosie n'y prêta aucune attention. Il n'était pas rare que des voisins ou des amis passent dans la soirée pour boire un thé, ou quelque chose de plus fort.Mais Ma revint et lui dit :
- On te demande à la porte, ma chérie.
- Qui est-ce ?
- Va voir.
Rosie alla jusqu'à la porte. Personne. Elle sortit et scruta la pénombre. Malgré le clair de lune et les lumières du cottage, elle ne distinguait toujours personne. Elle fit quelques pas.
- Qui est là ? appela-t-elle.
Et elle le vit. Il lui tournait le dos, mais elle l'aurait reconnu n'importe où. Son cœur se serra et plusieurs sentiments se bousculèrent en elle, la surprise, l'allégresse et la peur. Elle se tourna vers le cottage, prête à foncer s'y réfugier, mais Ma avait déjà fermé la porte derrière elle. Lentement, elle prit une profonde inspiration pour se calmer.
- Valentin ? C'est toi ?
Il se retourna, mais garda la tête basse. Rosie ne voyait pas son visage, mais elle sentait bien que quelque chose n'allait pas. Elle attendit qu'il parle.
- Oui, Rosie, c'est moi. Veux-tu bien faire un tour avec moi ? J'ai des choses à te dire.
La dernière fois qu'il lui avait demandé cela, c'était lors d'une soirée de réveillon, dans une autre vie. Il l'avait trouvée accroupie contre un mur de la grande maison, l'avait emmenée dans le jardin, il l'avait embrassée et lui avait déclaré son amour. Sans pouvoir l'expliquer, Rosie était certaine que leur promenade de ce soir ne finirait pas de la même façon. Elle se prépara pour ce qui allait arriver.
Ils se mirent en route en silence. Elle trébucha une fois ou deux sur une pierre, mais le repoussa quand il tenta de la rattraper. Elle devait garder ses distances, des souvenirs et de vieilles blessures réapparaissaient et la rendaient méfiante. Lorsqu'ils arrivèrent à la limite de la ferme, Valentin s'arrêta, appuyé contre la grille. La lune illuminait son visage et ce qu'elle y vit l'effraya. Un mélange de colère et de désespoir. Que se passait-il ?
- J'ai été renvoyé de l'armée. Dit-il enfin.
Rosie savait qu'il valait mieux ne pas lui poser de questions. Quand il eut compris qu'elle n'allait pas le condamner immédiatement, il lui raconta toute l'histoire. Elle ne l'interrompit que lorsqu'il en vint à la mort de Cathal.
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Les Filles d'Ennismore
RomansaIrlande, début du XXe siècle. À huit ans, Rosie croise le chemin de Victoria, la jeune héritière du domaine d'Ennismore. Celle-ci s'ennuie et voit en la fille d'un métayer, l'amie dont elle rêve tant. Au grand dam de sa mère, elle arrive à convaincr...