Chapitre 38

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Les graines de la discorde semées durant l'été mûrirent et se répandirent aux quatre coins d'Ennismore. Les soupçons, la colère et la rancœur imprégnaient toutes les conversations. La nourriture et le lait tournaient à une vitesse effrayante. Même les oiseaux semblaient avoir arrêté de chanter. Et malgré une météo clémente, le froid avait pénétré dans la maison. Lady Ennis verrouillait sa chambre et laissait son mari dormir dans son bureau, quand il n'avait pas trouvé une excuse pour séjourner à Londres. Lady Louisa avait repris ses visites fréquentes au presbytère, menant une campagne éhontée pour enfin appâter le révérend Watson. Sofia passait le plus clair de son temps dans la nursery avec le petit Julian, tandis que Victoria restait seule dans sa chambre, demandant à Céline de lui apporter ses repas pour éviter sa famille. Très vite, on renonça à maintenir une illusion de normalité.

Ce fut cette atmosphère que trouva Valentin lorsqu'il débarqua innocemment par une fin d'après-midi de septembre. Il avait préféré passer par l'arrière de la maison et Mr. Burke, en le découvrant sur le seuil de la cuisine, bondit aussitôt.

- Lord Valentin, pardonnez-moi ! Je n'ai pas entendu la sonnette.

- Inutile de vous excuser, Mr. Burke. Répondit Valentin en haussant les épaules. Je ne voulais pas déranger, alors je suis passé par la cuisine.

Mrs. O'Leary et les autres domestiques s'attroupèrent autour de lui, cherchant tous à voir où il avait été blessé.

- C'était la raison la plus évidente de ce retour inopiné, puisque la guerre n'était pas finie. Mais où était son uniforme

- Êtes-vous en permission, Monsieur Valentin ? Demanda Mrs. O'Leary. Quelle bonne surprise cela sera pour votre famille. Cela va bien leur remonter le moral.

Valentin secoua la tête.

- Pas en permission, Mrs. O'Leary. Je suis rentré pour de bon.

Sans autre explication, Valentin ramassa son paquetage.

- C'est bon de tous vous revoir. Dit-il vivement. Je dois aller trouver papa.

- Lord Ennis est absent. Lui apprit Mr. Burke qui recouvrait ses esprits. Il doit rentrer dans quelques jours. Votre mère se repose dans sa chambre, miss Victoria aussi, et lady Louisa est sortie.

Il se gratta la tête, comme s'il avait oublié quelque chose.

- Et ma femme et mon fils ? Demanda Valentin.

- Oh oui, bien sûr. Répondit Burke, rouge de honte. Ils sont allés se promener.

Le majordome tourna les talons et partit d'un pas vif dans le couloir.

- Nous ne vous attendions pas. Lança-t-il. J'ai peur que votre chambre soit un peu humide. Je vais demander à miss Canavan d'allumer un feu. Puis-je vous apporter quelque chose à manger ?

- Non merci, Burke. J'aurais dû prévenir de mon retour. Je pense que je vais aller voir ma sœur.

- Elle se repose, Monsieur. Répondit Mr. Burke, soudain paniqué. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d'aller la déranger.

- Sottises ! Dit Valentin en montant les marches deux par deux.

Victoria se leva d'un bond en voyant son frère. Il était entré dans sa chambre sans frapper et elle n'avait pas eu le temps d'enfiler sa robe de chambre. Elle se tenait donc dans sa robe, consciente de son ventre rond.

- Valentin ! Mon Dieu, Valentin ! Que fais-tu ici ? Nous ne t'attendions pas.

Valentin écarquillait les yeux. Victoria peinait à mettre de l'ordre dans ses pensées. Jusque-là, elle avait été certaine que son enfant naîtrait longtemps avant le retour de Valentin. Elle s'avança pour l'embrasser, mais une lueur de méfiance dans son regard l'arrêta.

Les Filles d'EnnismoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant