Les espoirs de Brendan que Valentin reste en Amérique furent brisés au mois de février de la nouvelle année. Un télégramme arriva, et les nouvelles qu'il apportait se répercutèrent partout dans Ennismore comme l'écho d'un coup de fusil. Dans la bibliothèque, lady Ennis poussa un cri et laissa tomber le télégramme comme s'il l'avait brûlée.
- Que diable se passe-t-il, Thea ? Demanda lord Ennis, qui était arrivé en courant. Quelle mouche vous a piquée ? Dois-je demander à Louisa de faire venir le médecin ?
Il tenta de faire asseoir sa femme sur le divan, mais elle était raide comme un cadavre, et d'une pâleur extrême. Lady Louisa ramassa le télégramme, le lut rapidement et le tendit à son beau-frère.
- Peut-être ceci l'expliquera.
Lord Ennis prit le télégramme, daté du 14 février 1913, et le lut en écarquillant les yeux.
- Quelles excellentes nouvelles ! Quel formidable résultat ! Dieu a finalement béni la famille Bell.
Sa femme laissa échapper un autre cri.
- Edward, vous ne pouvez pas le penser ! Ce sont les pires nouvelles que j'aie jamais lues.
- Quoi ? Que nous avons un nouveau petit-fils ? Que Valentin et Sofia sont mariés ? Qu'ils vont revenir à Ennismore ? Thea, je n'y comprends rien.
Lady Ennis se laissa tomber sur le sofa, agitant furieusement son éventail.
- Edward, comment pouvez-vous être aussi aveugle ? Un mariage entre notre fils et cette vulgaire Américaine, et nous n'en savions rien jusqu'à aujourd'hui ? Quelle humiliation ! Mais comment allons-nous bien pouvoir l'expliquer ?
Lord Ennis semblait très énervé.
- Notre fils a fait un très bon mariage. Un enfant est né - un garçon, pour assurer notre descendance. Le domaine Ennis a probablement été sauvé du marteau d'un commissaire-priseur et l'avenir de la famille Bell est sauf. Bon sang, Thea, que pourrions-nous rêver de plus ? Je n'ai que faire du qu'en-dira-t-on. Notre héritage est sauvé, c'est tout ce qui compte. Jules prévoyait de donner cinq mille livres par an à Sofia, et c'est sans compter la dot elle-même - une somme fort généreuse, à n'en pas douter, étant donné qu'elle est fille unique.
- Vous ne pensez qu'à l'argent. Se lamenta lady Ennis en s'essuyant les yeux.
- Et vous, vous feriez mieux d'y penser un peu plus, ma chère. Rétorqua lord Ennis, furieux. Vos extravagances nous ont presque menés à la ruine. Vous devriez accueillir Sofia à bras ouverts. Elle est votre sauveuse tout autant que la mienne.
Il traversa la pièce et alla sonner la petite clochette pour appeler Mr. Burke.
- Cessons donc ces sottises. Conclut-il. Et buvons à la santé de Valentin et Sofia, et de notre nouveau petit-fils !
Pour la première et dernière fois, Rosie Killeen et lady Althea Ennis étaient d'accord. Même si leurs réactions à cette nouvelle avaient des motifs très différents, elles étaient aussi effondrées l'une que l'autre. Lady Marianne exultait quand elle annonça la nouvelle à Rosie.
- N'est-ce pas formidable, Rosalind ? Évidemment, je suis sûre qu'Althea est furieuse que ces jeunes gens aient eu l'audace d'agir sans sa permission. Cette Sofia m'a impressionnée dès la seconde où je l'ai rencontrée - une fille indépendante et pleine de vie ! Elle devrait donner du fil à retordre à Althea. Mon frère est aux anges, surtout pour son argent. Et je suis impatiente de rencontrer mon petit-neveu. Ils l'ont appelé Julian et...
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Les Filles d'Ennismore
RomansaIrlande, début du XXe siècle. À huit ans, Rosie croise le chemin de Victoria, la jeune héritière du domaine d'Ennismore. Celle-ci s'ennuie et voit en la fille d'un métayer, l'amie dont elle rêve tant. Au grand dam de sa mère, elle arrive à convaincr...