Chapitre 18

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Les grèves de Dublin se terminèrent et Micko reprit son travail à la boulangerie Boland's. Rosie fut renvoyée. Tout ce temps, Micko n'avait pas su qu'elle y travaillait. Puisqu'elle avait des horaires de nuit, il en avait déduit qu'elle avait enfin suivi ses conseils et se prostituait sur Sackville Street. Elle avait préféré ne pas le détromper et endurer ses remarques vulgaires pour avoir la paix. Elle avait beaucoup minci, car elle donnait une part de sa ration de nourriture à Bridie et Kate, mais elle n'avait pu se défaire de son allure de jeune femme de bonne famille bien éduquée. Les autres employés de la boulangerie la considéraient comme une étrangère et se montraient méfiants. Elle faisait de son mieux pour ne pas écouter leurs moqueries. Tout cela pour Bridie. Mais ces mois de travail lui avaient fait du bien, elle s'était sentie utile.

À Dublin, on ne parlait que de la guerre. De nombreux jeunes hommes avaient l'intention de s'engager dans l'armée britannique, et pas tous par sentiment patriotique. Une période dans l'armée promettait un salaire régulier et une possibilité d'aventure dans des contrées étrangères. Micko, lui, n'était pas intéressé.

« J'vais pas m'engager pour prendre l'argent du roi et je maudis ceux qui le feront. »

Rosie se demandait si Valentin allait s'engager, le moment venu. Il avait toujours parlé de son sentiment de devoir. Mais il avait maintenant une femme et un fils, et il était le seul fils Bell. De toute façon, cela ne la concernait plus. Elle devait penser à elle, surtout maintenant qu'elle se retrouvait sans travail. Elle manquait cruellement de perspectives. Elle n'avait jamais répondu aux multiples invitations de lady Marianne qui déclarait vouloir l'aider. Après l'humiliation du bal, comment lui faire confiance ?

Un soir de la fin du mois d'avril, après une longue journée passée à chercher du travail, Rosie rentra à Foley Court, gravit l'escalier, épuisée, et se figea à peine la porte ouverte. Là, au milieu de la pièce, se tenaient Victoria et la femme de chambre de lady Marianne, Céline. À la surprise et au choc de Victoria répondirent ceux de Rosie. Étaient-ils dus à son épuisement, à sa honte ou à la ressemblance étonnante entre Victoria et Valentin ? Peu importait. Rosie sentit une bouffée de colère s'emparer d'elle.

- Qu'est-ce que tu veux ?

Elle avait conscience de l'état déplorable de sa robe, de son visage émacié et du désespoir qui se dégageait d'elle, mais elle leva le menton.

-Je t'ai demandé ce que tu voulais.

- Je suis venue te voir, Rosie. Pouvons-nous aller quelque part pour parler ?

- Tu peux dire ce que tu veux devant Bridie. Rétorqua Rosie, de plus en plus obstinée.

Bridie se tenait dans un coin, Kate dans ses bras. Heureusement, Micko n'était pas rentré.

Victoria était visiblement mal à l'aise, ce qui faisait  quand même plaisir à Rosie. Céline n'avait aucune expression, mais elle était déjà venue à Foley Court Victoria chercha des yeux un endroit où s'asseoir et Bridie s'empressa de passer un coup de chiffon sur l'unique chaise. Victoria s'assit avec précaution Rosie ferma la porte derrière elle et s'y appuya.

- Si tu es venue à la demande de ta tante, tu perds ton temps. Je lui ai déjà dit que je ne voulais pas de son aide.

Victoria pâlit.

- Je... Je suis venue t'annoncer une bonne nouvelle, Rosie. Je m'installe à Dublin pour de bon. Je vais devenir infirmière. Dit-elle en baissant la tête. J'espérais que tu serais contente de me voir.

La sincérité de Victoria apaisait un peu la colère de Rosie.

- Pourquoi es-tu venue à Dublin ? Était-ce ton idée ?

Les Filles d'EnnismoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant