Quand le mois d'août arriva, la santé de Bridie s'était considérablement améliorée. Elle pouvait sortir se promener sans s'essouffler et aider sa mère à entretenir le cottage. Elle était impatiente de reprendre son travail à Ennismore, mais le médecin insistait pour qu'elle reste à la maison quinze jours de plus.
- Rien ne presse. Dit Ma. Rosie fait du bon travail là-bas et elle nous donne une partie de son salaire, comme tu le faisais. Elle peut y rester un peu plus longtemps.
- Et si elle s'y plaisait ? Demanda Bridie, renfrognée. Qu'est-ce que je ferais ?
- Ne t'en fais pas pour ça. Répondit Ma. Je pense qu'elle prendra ses jambes à son cou dès qu'elle en aura la possibilité. Elle est gentille d'avoir tenu si longtemps.
Bridie n'était pas prête à faire preuve de gratitude.
- Elle est payée, non ?
Son salaire était le seul rayon de soleil dans la vie de Rosie. Elle avait réussi à mettre un peu d'argent de côté depuis qu'elle avait commencé à travailler. Pas assez pour aller très loin, mais c'était un début. En dehors de cela, le dur labeur et l'humiliation faisaient désormais partie de son quotidien.
Elle avait décidé d'obéir à Mr. Burke et de rester à distance de Valentin. Elle lui avait expliqué la situation le lendemain matin de leur chevauchée, quand elle allumait le feu dans sa chambre.
« Mais c'est ridicule. Avait-il protesté. Comment peut-il te dire quoi faire durant ton temps libre ?
- C'est toi qui es ridicule. Tu sais parfaitement comment c'est entre vous autres et les domestiques.
- Vous autres ?
- Mais oui, vous autres ! On fait partie du décor pour vous, rien de plus. Il ne faut ni nous voir ni nous entendre. Pense à la façon dont tu traites les autres domestiques. Je parie que tu ne connais même pas leurs noms. »
Imperceptiblement, Rosie avait commencé à comprendre très clairement quel était le destin des serviteurs. Elle avait toujours fait la sourde oreille quand Bridie lui rapportait des histoires et se plaignait de son travail, mais maintenant, elle mesurait à quel point leurs vies étaient malheureuses et limitées. Même si elle n'avait pas encore accepté qu'elle faisait partie de ce monde, elle comprenait et compatissait.
« Ils n'ont aucune importance pour moi. Lui avait répondu Valentin. Mais toi, si. Au moins, on peut se voir ici tous les jours sans personne pour nous espionner.
- Tu ne comprends donc pas ? Mr. Burke a décidé que, à partir de demain, ce serait la jeune Thelma qui s'occuperait de ta chambre.
- Qui est-ce ? »
Rosie aurait éclaté de rire si elle n'avait pas été si énervée. Valentin venait de prouver qu'il ne connaissait pas les autres domestiques.
Elle s'était contentée de lancer un au revoir à Valentin, puis avait tourné les talons. Mais alors, par surprise, il avait enlacé sa taille et l'avait plaquée contre lui pour l'embrasser à pleine bouche. Surprise, Rosie avait lâché son seau de cendres et reculé brusquement.
- Mais bon sang, Valentin, qu'est-ce que je viens de te dire ?
- Tu ne te débarrasseras pas de moi si facile- ment, Rosie.
Le baiser de Valentin l'avait laissée en proie à un mélange de sentiments confus, entre la joie et la gêne. Elle s'était bien souvent imaginé une scène de ce genre, mais c'était toujours dans le jardin, sous le clair de lune, ou dans les bois, près de la forteresse des fées. Jamais elle n'avait pensé que cela aurait lieu dans sa chambre, tandis qu'elle porterait un seau plein de cendres. Mais il l'avait embrassée.
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Les Filles d'Ennismore
Storie d'amoreIrlande, début du XXe siècle. À huit ans, Rosie croise le chemin de Victoria, la jeune héritière du domaine d'Ennismore. Celle-ci s'ennuie et voit en la fille d'un métayer, l'amie dont elle rêve tant. Au grand dam de sa mère, elle arrive à convaincr...