La calèche fonçait en soulevant un nuage de poussière. Elle courait derrière, hors d'haleine, les mains tendues.
- Arrêtez ! Criait-elle. Attendez-moi.
Les chevaux finirent par ralentir et elle la rattrapa.
La lune apparut entre les nuages et la route et la calèche furent soudain baignées de lumière.
- Merci. Souffla-t-elle. Merci.
- De rien. Répondit le cocher. Où voulez-vous aller ?
Il se retourna vers elle et la terreur la figea. Il n'avait pas de tête sur les épaules. Son chapeau flottait au-dessus de l'anneau sanguinolent de son cou.
Il tendit vers elle une main qui ressemblait à une griffe et lui agrippa le bras, mais elle réussit àse dégager.
- Non !
- Comme vous voulez. Dit-il, et sa voix gargouillait depuis le cou tranché. C'est vous qui m'avez appelé.
- Non ! Cria-t-elle de nouveau.
Il agita les rênes, faisant repartir les deux chevaux noirs, et la calèche disparut dans la nuit que la lune avait soudain désertée.
- Non ! Cria encore Rosie, se réveillant en sursaut.
Sa mère accourut.
- Qu'est-ce qui va pas, fillette ? Demanda-t-elle, une bougie à la main.
Elle posa la main sur le front de Rosie.
- Tu as de la fièvre. Es-tu tombée malade ?
Rosie tourna la tête pour regarder par la petite fenêtre à côté de son lit, puis de nouveau vers sa mère. Elle se frotta les yeux.
- Oh ! Ma, j'ai fait un horrible cauchemar. Je courais après la calèche de Victoria et, quand elle s'est arrêtée et que le cocher s'est retourné, il n'avait plus de tête, Ma, et il essayait de me faire venir avec lui, mais...
- Calme-toi, ma chérie. Ce n'était qu'un mauvais rêve.
- Mais qu'est-ce que ça veut dire, Ma ? Je vais mourir ?
- Pas du tout. On a tous entendu trop d'histoires sur des cavaliers sans tête, c'est tout. C'est un miracle qu'on ne soit pas tous morts de peur. Répondit-elle en remontant la couverture en patchwork de Rosie. Rendors-toi, ma fille, je vais rester à côté de toi. Tu t'inquiètes pour la petite Victoria, c'est tout. Et tu es triste qu'elle soit partie. Il n'y a rien de plus.
- Oui, Ma. Bonne nuit.
*
Ce ne fut pas Rosie, mais Bridie qui tomba malade. Peu après le départ de Victoria pour Dublin, elle commença à tousser. Les symptômes n'étaient pas graves, au début, mais un jour, elle s'écroula sur le sol de la bibliothèque d'Ennismore. Les autres servantes la portèrent jusqu'à l'office et lui donnèrent du laudanum pour lui faire reprendre connaissance. Mrs. Murphy, la gouvernante, insista pour que Bridie aille se reposer au lit. Mais le lendemain, elle était si faible qu'elle ne tenait pas debout. Brendan, le valet, la raccompagna en charrette jusqu'au cottage des Killeen, où on fit appeler le médecin, qui diagnostiqua une pneumonie aiguë et ordonna un mois de repos total.
- Cette fille est épuisée. Dit le médecin à sa mère. Elle a besoin de repos ou elle n'aura pas la force de lutter contre ça.
- Mais je ne peux pas perdre mon travail. Protesta Bridie. La maison doit être nettoyée du sol au plafond pendant l'absence de lady Ennis pour l'été. Ils ont besoin de moi. Si je reste trop longtemps absente, toutes les filles du village vont se précipiter pour prendre ma place.
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Les Filles d'Ennismore
RomanceIrlande, début du XXe siècle. À huit ans, Rosie croise le chemin de Victoria, la jeune héritière du domaine d'Ennismore. Celle-ci s'ennuie et voit en la fille d'un métayer, l'amie dont elle rêve tant. Au grand dam de sa mère, elle arrive à convaincr...