Chapitre 12- Joshua.

224 20 66
                                    

Sam est en retard de quatre minutes et trente deux secondes en histoire, ce matin. Je me sens bien seul, je suis tout au fond, et devant moi il n'y a que les deux de la rentrée. Ceux qui disaient que j'étais gay et que j'allais sauter sur Sam. En bref, je m'ennuie, et les commentaires homophobes à mon sujet commencent réellement à me fatiguer. J'espère que Sam va bientôt arriver, ils se taisent quand il est là.

Nora tourne la tête vers moi depuis sa place et me lance un sourire encourageant. Je lui réponds avec une moue fatiguée, je ne vais quand même pas sourire alors que tout le monde peut me voir.

Enfin, trois coups retentissent sur la porte, et Sam entre en montrant son carnet au professeur. Il est tout essoufflé, les joues rougies. Il se dirige directement vers moi en boitant un peu, et se laisse tomber sur sa chaise avec fatigue.

J'ai encore loupé mon réveil, soupire-t-il en sortant sa trousse. J'ai dû courir, je suis crevé.

Je vois ça. Ton genou, ça va ?

Il paraît touché que je lui pose la question. C'est vrai que je n'ai pas trop l'habitude de me soucier des autres, mais depuis que je suis ici, c'est quelque chose qui commence à me venir naturellement.

J'vais devoir m'accrocher à Nora pendant un moment, mais ça devrait aller.

Tu peux t'accrocher à moi, aussi, proposé-je sans m'en rendre compte, les mots s'échappent de mes lèvres avant que je n'ai le temps de réaliser ce que je dis.

Son sourire lumineux disparaît instantanément en entendant ce que souffle l'un des garçons assis devant nous :

Vraiment une classe de gays, la honte.

Sam semble réagir plus vite que moi, ses sourcils se froncent, il entrouvre la bouche sans trop savoir quoi dire. Il n'est pas homophobe lui, je le sais, puisqu'il n'a rien dit en entendant ce que m'a dit Ben. Mais certaines personnes s'en fichent lorsque ça concerne les autres, mais ne s'en fichent plus du tout quand ça les concerne directement.

Il referme lentement la bouche, en silence.

Je sors une feuille simple de mon sac, pique un stylo dans sa trousse et m'applique à noter :

"ne fais pas attention à eux, ils me font chier sur ma sexualité depuis le début de l'année, et je m'en fiche"

Je fais glisser la feuille devant lui. Il lit rapidement ce que j'ai écrit, et son sourire revient. Il m'arrache son stylo des mains et commence à griffonner quelque chose en retour.

"en quoi ça les regarde ta sexualité ? On s'en fout de celle des autres, ça nous concerne pas. A part quand on veux sortir avec la personne mdr, et encore"

Soulagé. Je suis soulagé, car on parle enfin de ma sexualité, des semaines après qu'il ait entendu mon appel avec Ben. Et je soulagé qu'il n'en ai rien à faire, surtout. Enfin quelqu'un qui ne me voit pas uniquement pour quel genre je préfère.

J'ai trop faim, j'ai pas eu le temps de manger, soupire le blond en posant sa tête sur son bras étalé sur la table. Oh, en plus, devine quoi, j'ai pas mes affaires de français.

Tu pourras recopier les devoirs sur moi tout à l'heure, si tu veux.

Tu veux bien ? Merci ! s'exclame-t-il.

Je n'aime pas les gens bruyants.

Pourtant, chez Sam, c'est tolérable, je n'ai aucun mal à le supporter. Nora non plus, je ne grimace pas quand elle commence à parler fort. Ils me changent, mais bizarrement, ça ne me dérange pas. Pas du tout, au final. J'aime bien la personne que je m'autorise à être avec eux.

Le soir, allongé dans mon lit, je fixe désespérément l'écran de mon téléphone, les yeux remplis de larmes. Une soirée habituelle, tout compte fait.

Quand j'étais petit, j'étais comme la plupart des enfants et j'admirais mon père. C'était mon héros, et je le pensais capable de nous protéger de tout, Anna et moi. Puis notre mère est morte dans un accident de voiture quand j'avais huit ans, et ma vie a radicalement changé. Celle d'Anna aussi, bien sûr.

Il s'est mis à boire. Au début, il nous délaissait juste, rentrait à la maison complètement bourré, vomissait dans les toilettes et partait se coucher en titubant. C'était sa première manière de faire son deuil. Mais un jour, il a décidé que nous ne souffrions pas assez, pas autant que lui de la mort de notre mère. Et il a commencé à nous faire souffrir, pour qu'on souffre autant que lui.

On souffrait déjà, mais ce n'était pas son problème. Ça a commencé avec des insultes, et quand il a cru que ça ne suffisait pas, il est allé plus loin.

Pourtant, on avait déjà mal, bien assez. Notre mère était morte, et nous nous retrouvions seuls avec notre père qui avait perdu les pédales.

Les coups ont ensuite commencé, en même temps que la drogue a détruit ce qui restait du père enfoui au fond de lui.

Je pleure vraiment, maintenant. Mon oreiller sous ma tête s'humidifie peu à peu, ça me dégoûte. Je grimace, sans pour autant essayer de calmer mes sanglots silencieux. Ma vue est trouble, mon écran de téléphone n'est plus qu'une tâche de lumière.

Finalement, je renifle, me redresse et essuie mes yeux. Ma colère et ma tristesse sont repartis rapidement cette fois-ci. Tant mieux.

Après avoir reposé mon téléphone, en charge, je ferme les yeux et rabat la couverture sur ma tête pour dormir. J'ai bien sûr tourné mon oreiller d'abord, la sensation n'était vraiment pas agréable.

***

Dès lundi, vous commencerez à jouer un peu, car pour le texte c'est déjà bien, annonce le professeur de théâtre.

Sam me lance un regard impatient depuis l'autre bout de la scène. Non, en fait c'est plutôt impatient et nerveux. C'est vrai qu'on va devoir se tenir la main et mimer d'autres gestes. On ne s'embrassera pas encore, ça on devra le faire après les premières vacances. Et encore, on devra le faire au maximum une ou deux fois avant la représentation de fin d'année, c'est tout.

Le prof annonce enfin la fin du cours, je marche tranquillement vers Nora et Sam. Ce dernier pose une main sur mon bras, pas trop brusquement - j'ai remarqué qu'ils font tous les deux attention à ne pas me brusquer - et me demande :

On t'accompagne chez le psy aujourd'hui ?

Il chuchote presque ces mots, afin que les autres autour de nous ne l'entendent pas. C'est gentil de sa part.

Tu ne risques pas d'être en retard ?

Non, pas du tout, on y va pas ce soir. D'ailleurs, ce week-end, vous avez l'obligation de venir chez moi ! annonce-t-il joyeusement.

Quel jour et à quelle heure ?

Nora l'interrompt alors qu'il n'a même pas eu le temps de parler.

Toujours le samedi et à onze heures chez Sam.

Le blond hoche vigoureusement la tête, accompagné d'un grand sourire lumineux.

D'accord, ça me va, accepté-je.

A en juger par ses yeux qui s'agrandissent brusquement, il ne pensait pas que j'accepterai. Son sourire revient avec enthousiasme, nous sortons de la salle. A peine dehors, Nora me propose des bonbons, que je refuse. Sam, lui, accepte immédiatement.

Mon casque reste bien sagement posé autour de ma nuque tandis que nous marchons. Je n'ai vraiment pas envie d'aller chez le psychologue, mais je sais que c'est une solution. Je veux aller mieux, pour ma grand-mère.

Comment va ta grand-mère ? demande justement Sam.

Elle va bien, elle refuse que je l'aide et me demande d'aller dehors avec vous.

D'accord, répond-t-il simplement.

J'ai trop faim, je pense que je vais aller m'acheter un beignet, ça va être trop chouette ! intervient Nora. T'en voudras un ?

Je hoche la tête pour toute réponse. Ma grand-mère va être contente, je reprends du poids depuis que je suis ami avec eux, je mange mieux et plus souvent aussi. 

CINQ ACTESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant