CINQ ACTES

Chapitre 5- Sam.

Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Mais alors, vraiment pas.

C'est sûrement l'odeur de son déodorant qui me monte à la tête. Oui, c'est probablement ça. Il y a de l'alcool dans les déodorants en plus. Donc, tout est de la faute de son fichu déodorant qui sent si bon. Voilà. Le déodorant, et rien d'autre.

C'est à cause de son déodorant qu'en seulement une semaine je me sens attiré par lui. Ce n'est pas lui qui m'attire, c'est son odeur de cookies vraiment incroyable. Il n'y a rien à dire de plus.

Mais si c'est son déodorant qui me plaît...pourquoi quand je pense à lui, c'est son visage qui surgit dans mon esprit ? Ça me terrifie. Je ne comprends pas ce qui se passe, vraiment pas du tout. Et tout ça ne me plaît vraiment pas.

Une semaine. Une seule petite semaine, juste cinq jours où je l'ai vu. Et ça a tout chamboulé.

Nora dit souvent que je me prends trop la tête pour rien, que je réfléchis trop. D'habitude, je la contredis avec mon énergie habituelle, avant de changer de sujet. Mais là, si Nora me disait que je pense trop, je ne trouverais rien à répondre. Alors que j'ai une répartie incroyable en temps normal, sans vouloir me vanter bien évidemment. Ce qui m'inquiète aussi, c'est que ma meilleure amie me connait trop bien. Elle va finir par remarquer que je ne regarde pas vraiment Joshua comme je le devrais, donc comme un ami. C'est ce que je voulais, à la base, devenir ami avec le nouveau.

Et c'est toujours ce que je veux. C'est sûrement égoïste, mais je n'ai pas envie qu'il se lie à un autre groupe dans cette classe, ils sont toujours à juger tout le monde et tout. Nora et moi, on est mieux, plus ouverts d'esprits, plus...

Plus quoi même ?

Je dis tout ça juste parce que maintenant que je connais un peu Joshua, je n'ai pas envie qu'il nous laisse. Il a ses secrets, beaucoup de secrets, mais je l'apprécie déjà. Il n'a pas du tout le même type de caractère que moi ou Nora, et moi j'aime bien le changement.

Je jette un coup d'œil à mon téléphone posé à côté de mon oreiller. Joshua n'est même pas là et je me retrouve à penser à son odeur. Vraiment bizarre tout ça.

Je me saisis de mon téléphone, décidé à me changer les idées. J'en ai marre de trop réfléchir, ce soir. J'en ai marre de penser, tout simplement.

***

Je pousse la porte de la salle de théâtre après avoir toqué, complètement essoufflé d'avoir traversé tout le bâtiment en courant, la lanière de mon sac à dos me sciant l'épaule. Je dévale les escaliers, un peu gêné par les regards qui se posent sur moi, m'excuse, et cherche une chaise libre pas trop loin de la scène. Bon.

Joshua m'adresse un signe de tête discret, il reste une place libre à côté de lui, contre le mur. Je vais m'asseoir à côté de lui, et en faisant ça je constate que Nora est avec des filles de la classe à qui elle parlait déjà l'année dernière.

Je glisse mon sac sous la chaise et retire mon pull, j'ai trop chaud. C'est ça de courir.

— Ton réveil n'a pas sonné ? s'intéresse le garçon à ma droite.

— Je l'ai ignoré, j'avais oublié qu'on était lundi.

J'entends Joshua laisser échapper un léger son qui fait penser à un rire, mais quand je tourne la tête vers lui, il n'y a déjà plus rien. C'est comme si le son que je venais d'entendre n'avait jamais existé. C'est peut-être ça, au final, j'espère tellement le voir sourire que mon cerveau s'imagine des choses.

Je deviens fou, c'est sûrement ça. Je deviens fou d'un garçon. Du plus beau garçon que j'ai jamais vu, au passage.

— J'ai déjà pris le temps d'entourer le prénom de votre personnage au crayon de papier dans la liste au début de votre texte final, annonce soudain le prof. Je vous laisserai découvrir vos rôles plus tard, aujourd'hui nous allons faire quelques exercices d'échauffement.

Il nous distribue nos textes, ce qui prend un certain temps puisque nos textes sont personnalisés. Je résiste à l'envie de regarder quel rôle j'ai et range le tas de papiers dans mon sac pour ne pas le perdre. Je ne suis pas organisé.

A la récréation, je rejoins Nora, impatient de découvrir le personnage que son père m'a attribué. Dans la liste, le personnage entouré se nomme Samuel, et je comprends que c'est l'un des personnages que le père de Nora a créé. Je tourne les pages, cherchant un dialogue comportant le nom de Samuel, mais c'est une didascalie qui contient ce prénom qui m'arrête.

"Samuel, posant sa main sur la joue d'Ambroise, puis l'embrassant"

— Purée, Nora, je vais devoir embrasser un mec...et je sais même pas qui joue Ambroise, lâché-je en lui montrant la ligne en italique.

Un petit bruit de pas se fait entendre derrière moi, un fourmillement me titille l'estomac. C'est Joshua qui arrive derrière nous.

— C'est moi qui joue Ambroise, déclare-t-il gravement.

Il a l'air encore plus froid que d'habitude, mais je ne comprends pas pourquoi. Car tout ce qui demeure dans mon esprit, c'est que je vais embrasser Joshua, prochainement.

Et putain, qu'est-ce que ça me terrifie. Mon estomac me chatouille une deuxième fois, et je comprends. Qu'en seulement une semaine, il m'a eu. Il m'a noyé, et je ne suis pas sûr de réussir à remonter à la surface, elle me paraît déjà si éloignée.

Je ne comprends pas trop ce qui me prend, mais trop tard, mon bras et ma bouche prennent leur propre contrôle, je tends ma main au brun désormais face à moi en disant :

— Hâte de jouer avec toi.

Et qu'est-ce que je regrette mes mots. Instantanément. Je les regrette de tout mon coeur, car c'est quand je prononce ces huit syllabes que je vois Joshua esquisser l'ombre d'un sourire pour la première fois. Mon cœur dégringole au fond de mon ventre, ce qui achève de me couler au fond de l'eau.

Je ne remonterai pas à la surface.

Je ne suis pas seulement tombé à l'eau, j'ai accroché des pierres à mes pieds, ce qui ne me permettra jamais de remonter.

Mais c'est la noyade la plus agréable que l'on puisse vivre.

***

Je passe la soirée à réfléchir. Maman a préparé mon repas préféré, sans raison particulière, mais je n'arrive pas à l'apprécier comme je le devrais. Pour la première fois de ma vie, j'ai l'impression d'être réellement concerné par le problème que j'affronte.

Parce que ce n'est pas qu'extérieur cette fois. Mon cœur est directement touché, il s'est fait transpercer en son centre. Et le pire, c'est que je n'y comprends absolument rien.