Mission Ferrari // Max Verstappen

3. kampioen - décembre 2021

Comment sait-on qu'on a touché le fond? Max se le demande tous les jours. Il pensait avoir atteint ses limites en apprenant que Sofia s'était jouée de lui. Pendant des mois, il a souffert en silence. Il a passé ses journées à ruminer et ses nuits à pleurer. Il s'est imaginée la tuer: nouer ses mains autour de sa gorge pour l'étouffer, maintenir sa tête sous l'eau pour la noyer et même la pousser du haut d'une falaise pour la voir s'écraser une dizaine de mètres plus bas. Il s'est aussi vu frapper Charles jusqu'à le défigurer. Max n'est plus que haine et tristesse. Sofia lui a tout pris. Et même maintenant la Formule 1, dernier plaisir auquel il se raccroche depuis des semaines. Elle s'est pointée sur le paddock quand il s'y attendait le moins.

Son retour l'a achevé. Max a d'abord pensé que cette fille qui se tenait face à lui n'était pas Sofia. Elle ne ressemble en rien à celle qu'il a tant aimée. Elle a l'air absente. Tout autant que lui. Ce n'est qu'en voyant le sourire arrogant de Charles qu'il a enfin compris. Le Monégasque l'a ramenée à Abou Dabi pour lui infliger le coup de grâce. Force est de constater qu'il a réussi. Max est perdu. Il ne sait même plus pourquoi il se bat. Le titre de champion du monde ne l'intéresse même pas. Il domine la première séance d'essais libres uniquement parce que les Mercedes en gardent sous la pédale. Christian Horner l'exhorte à se reprendre. Les deux hommes ont un échange houleux juste avant les qualifications. Dans le garage, le Britannique et le Néerlandais se hurlent dessus sans se soucier de ceux qui les entendent. Des jurons fusent. Le casque du pilote est balancé contre un mur. Max est à deux doigts de baisser les bras et de s'en aller. Il ne se contient que par habitude. La voix de son père résonne dans sa tête: "tu n'as pas besoin d'elle pour aller chercher ce titre".

Obligé d'utiliser ses pneus tendres, Max s'empare de la pole position sous les yeux de Sofia. L'Italienne suit la course depuis le garage Ferrari. Toute son attention va au Néerlandais. Elle ne se soucie pas de ce que Charles est en train de faire. Elle connaît assez bien la Formule 1 pour savoir que cette pole position est un cadeau empoisonné. Max sera obligé de débuter le Grand Prix avec des gommes tendres. Il devra forcément faire un arrêt de plus que Lewis Hamilton. Son cœur saigne. Elle ne désire que traverser la voie des stands pour soutenir le Néerlandais. Elle ne supporte pas de ne pas pouvoir l'approcher. Son corps tout entier souffre.

Et la situation ne s'améliore pas pendant la course. Sofia subit chaque coup de théâtre sans pouvoir intervenir. Elle aimerait fumer cigarette sur cigarette. Tout se joue dans les derniers tours. La voiture de sécurité virtuelle est déployée à cause d'une panne d'Antonio Giovinazzi. Max en profite pour rentrer aux stands et chausser des pneus durs. Lewis ne s'arrête pas. C'est une erreur. Sergio Perez se sacrifie ensuite pour son coéquipier. Il retient le Britannique aussi longtemps que possible et permet au Néerlandais de revenir sur son rival.

Au cinquante-troisième tour, Nicholas Latifi se plante. Toto Wolff, le directeur de Mercedes, implore le directeur de course de ne pas sortir une nouvelle fois la voiture de sécurité. Ses supplications ne le mène nulle part. L'Aston Martin entre en piste pour le plus grand bonheur de Red Bull. Max regagne les stands et met les tendres. Le pilote joue son va-tout. La confusion règne, car cinq retardataires se sont intercalés entre les deux rivaux. Le directeur de course est submergé. Wolff et Horner lui mettent la pression. Il décide finalement - à seulement un tour de l'arrivée - de permettre aux pilotes de dépasser la voiture de sécurité. Chaussé de pneus neufs, Max se retrouve juste derrière Lewis. C'est inespéré. Le Néerlandais lui-même ne réalise pas ce qui est en train de se produire. Les étoiles se sont alignées. Calé derrière le Britannique, il a une furtive pensée pour Sofia. Il se dit: "regarde bien ce que je m'apprête à faire. Tu ne vivras jamais rien d'aussi palpitant. Tu ne pourras jamais accomplir quelque chose d'aussi grand".

Repartis à pleine vitesse, Max et Lewis se livrent une ultime bataille. Le Néerlandais dépasse facilement en plongeant à l'intérieur d'un virage. Le Britannique contre-attaque, mais ses pneus ne lui permettent pas de lutter à forces égales. Assise à l'arrière du garage Ferrari, Sofia entend déjà les cris de joie des membres de l'écurie voisine. Les murs tremblent sous les acclamations des spectateurs. Elle ferme les yeux pour savourer. Il va le faire. Il y est presque. Elle se lève pour mieux voir les grillages qui séparent la voie des stands de la piste. Tous les mécaniciens Red Bull s'y sont suspendus. Les muscles tendus et les poings serrés, ils attendent la venue de Max. La monoplace surgit du dernier virage. Elle franchit la ligne d'arrivée en un souffle. L'Italienne donnerait tout pour entendre la voix de Christian Horner hurler: "Max Verstappen! You are the world champion! The world champion!". Elle distingue le dos courbé du directeur d'écurie. Elle discerne aussi les larmes d'Adrian Newey. Ses yeux à elle aussi sont humides. Soucieuse de ne pas attirer l'attention, elle les essuie rapidement. Son cœur s'est arrêté. Complètement vidée, elle reste assise et immobile. Rien ne sera plus jamais pareil.