4. rancœur - décembre 2021

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Imaginez la scène... une jeune femme en larmes qui court comme si elle cherchait à battre des records de vitesse. Elle tient ses talons dans sa main gauche et le bas de sa longue robe dans sa droite. Au loin, une marina d'où s'échappe une musique tonitruante. Quelques feux d'artifice troublent le noir de la nuit d'Abou Dabi. Les immeubles se succèdent le long de la route. Les voitures sont rares.

Sofia a avalé les quatre kilomètres qui la sépare de son hôtel. Elle ne s'est arrêtée qu'une seule fois pour reprendre son souffle. Ses pieds la font souffrir. Mais ce n'est rien comparé à ce qu'elle ressent. En voyant Max, les yeux fermés mais le visage détendu et heureux, se faire tirer une pipe par une blondasse, elle a failli s'évanouir. Elle ne l'imaginait pas capable de se taper une autre. Elle a déchanté. Le pilote, aussi énervé qu'il soit de son retour dans le paddock, a visiblement tourné la page. Elle s'imagine qu'il enchaîne les coups d'un soir comme tout athlète qui se respecte. Et elle, naïve, a pensé que sa présence à Abou Dabi lui était nécessaire. Elle a même cru l'espace d'un instant que s'il était devenu champion, c'était en partie grâce à elle.

Sofia, tout en continuant de courir en direction de son hôtel, se gifle plusieurs fois. La douleur, bien que passagère, lui permet d'oublier celle qui s'est logée dans sa poitrine. Elle comble les derniers mètres qui la sépare du gigantesque immeuble. Pour ne pas attirer l'attention du personnel, elle ralentit la cadence. Elle en profite pour écrire à Charles qu'elle est rentrée. Elle a filé à l'anglaise dès qu'elle l'a aperçu flirté avec une serveuse. Elle attendait ce moment depuis des heures. Elle s'est empressée de quitter l'embarcation pour monter à bord du yacht Red Bull. Légèrement dépassée par les événements, la sécurité ne l'a même pas remarquée. Quelqu'un lui a ensuite confié que Max, ivre mort, était descendu se reposer dans une cabine. Elle a fouillé toutes les chambres, le cœur battant, jusqu'à tomber sur celle qu'occupait le Néerlandais. Elle s'attendait à le voir étendu et ronflant sur un lit. Il n'en était rien. Le pilote était déjà en charmante compagnie. En le surprenant, Sofia s'est figée. Elle n'est revenue à elle-même que lorsque que Max lui a décoché un clin d'œil hagard. Et puis, elle s'est enfuie. Aussi vite que ses pieds le lui ont permis.

Exténuée, Sofia retrouve sa chambre d'hôtel avec soulagement. Elle fonce vers la douche pour faire couler un filet d'eau fraîche sur ses orteils abîmés. Elle masse la plante de ses pieds en gémissant. Ce moment lui fait remonter le temps.

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Sofia marche depuis plusieurs heures. Le soleil se lève sur Milan. Elle traverse lentement la banlieue de la ville. Le monde est encore endormi. Tout est si paisible. Il ne reste que quelques kilomètres à l'Italienne pour atteindre l'appartement de Lucia. Elle sait qu'elle y sera en sécurité. Son cœur lui fait toujours aussi mal. Les paroles de Max ne la quittent pas. Elle passe une main tremblante sur son dos endolori. Elle n'aurait pas pensé qu'il puisse se débarrasser d'elle aussi violemment, lui qui a toujours tenu à se distancer des pratiques de son père. Toutefois, la Napolitaine ne lui en veut pas. Si le Néerlandais est allé aussi loin, c'est seulement parce qu'elle l'y a poussé. Elle sait qu'elle ne devrait pas dire ça. La violence ne devrait jamais être tolérée. Et pourtant, elle a toutes les raisons de le comprendre.

Sofia arrive enfin dans la rue de Lucia. Elle reconnaît l'immeuble qu'elle a autrefois partagé avec la Milanaise. La façade majestueuse mais décrépie n'a pas changé. Elle sonne en espérant que son amie soit là. Une voix endormie retentit.
L'Italienne approche son visage de l'interphone. Elle balbutie:

- Lu... ouvre-moi.

Quelques minutes plus tard, Sofia est assise sur le rebord de la baignoire de Lucia. Engourdie par le froid, elle se laisse déshabiller. Puis, elle s'assied dans l'eau brûlante. L'Italienne se laisse glisser jusqu'à ce que son corps soit immergé. Ses pieds la lancent. Des cloques se sont formées sur ses orteils. Elle saigne. Lucia s'occupe de les nettoyer en passant lentement une lavette sur sa peau meurtrie. La Milanaise finit par demander:

Mission Ferrari // Max VerstappenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant