5 : Ce jour-là

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10 ans plus tôt, Février 2007

- Isuzu. Il faut qu'on arrête de se voir. 

J'ai l'impression que mon sang se glace dans mes veines. Non seulement il ne m'avait pas appelée par mon prénom depuis très longtemps, mais en plus il m'annonce ça de but en blanc. Qu'est-ce qui lui prend, tout à coup ?

- Pourquoi tu dis ça ? C'est à cause du départ de Takemichi ?

Assis au bord de son lit, Mikey reste un moment silencieux. De mon côté je demeure immobile dans l'entrée de sa chambre, ne sachant pas si je dois m'avancer ou non.

- Je voulais qu'il m'engueule comme l'aurait mon grand frère. Mais s'il est parti, alors...

Il n'achève pas sa phrase. 

- Tu ne peux pas rester avec moi. Et je ne veux pas que tu le fasses. 

- Mikey...

Il se lève et fait quelques pas vers moi. Son regard, sombre et soucieux, me rappelle affreusement le jour où il m'a annoncé que mon propre frère avait tué le sien. 

- Est-ce que tu te rappelles le jour où tu m'as dit que toutes mes peines étaient à toi ? je demande.

- Oui, mais ça n'a pas de rap...

- Ça ne va pas que dans un sens, je le coupe. Si mes peines sont les tiennes, alors je veux aussi prendre ta douleur comme tu l'as fait pour moi. 

- Non, tu ne peux pas faire ça. Tu ne te rends pas compte.

- Bien sûr que si...

- Isuzu !

Perdant patience face à mon entêtement, Mikey me prend par les épaules. Son regard croise alors le mien et j'ai l'impression d'y déceler toute la souffrance qu'il éprouve en ce moment même, bien qu'il essaie de la chasser. 

Ses doigts se crispent et je déglutis.

- J'ai... Il y a quelque chose en moi. Ces derniers temps, je n'arrive même plus à distinguer le bien du mal. Le jour où je ne pourrai plus le faire, je ne veux pas que t'en payes le prix.

- Mais...

- S'il-te-plaît.

Sa voix, à peine plus basse qu'un murmure, transperce mon cœur comme une aiguille.

- Et si j'insiste ? dis-je.

- N'insiste pas. Tu ne peux pas rester avec moi toute ta vie, Isuzu, tu mérites de vivre heureuse et ce n'est pas moi qui pourrais t'offrir ça.

- Ne dis pas n'importe quoi...

- Suzy.

Il y a une sorte de supplication dans sa manière de prononcer mon surnom. Le voir aussi torturé est un véritable calvaire et je ne peux pas retenir mes larmes. Ce qui me fait le plus mal n'est pas de devoir cesser toute relation avec Mikey ; c'est d'être obligée de l'abandonner à son sort, en sachant très bien qu'il se laissera engloutir par les ténèbres. 

- Je reviendrai, dis-je d'un ton assuré. Si tu crois que je vais partir sans me retourner, alors c'est que t'es un imbécile. 

Il ouvre des yeux ronds mais n'ajoute rien. Tout en ayant la ferme intention de revenir à la charge plus tard, je quitte sa chambre tandis qu'il reste sur le pas de la porte. Je lève mon petit doigt en l'air en signe de promesse, lui adressant un sourire que je veux réconfortant. 

L'espace d'un instant, j'ai l'impression d'apercevoir une lueur d'espoir dans les yeux de Mikey... Mais il ferme la porte et disparaît derrière. 

Si seulement j'avais insisté davantage ce jour-là...

° •. ✮ . • °

Novembre 2010

- Je savais que je te trouverai ici.

Assise en tailleur devant la tombe de mon frère, je relève la tête. Chifuyu vient se poster à mes côtés, les mains dans les poches de son pantalon noir. Sans ajouter quoique ce soit, il joint ses paumes et clos ses paupières.

Ses cheveux blonds ne m'ont jamais parus aussi ternes. C'est étrange de le voir épuisé, lui qui s'efforce de toujours garder la face...

- Déjà 1 an, hein ? reprend-il en rouvrant les yeux. 

Je ne réponds pas.

Effectivement, déjà une année s'est écoulée depuis le décès de Kazutora. Il n'a même pas eu le temps de profiter de sa liberté après ces 4 ans d'emprisonnement ; quelqu'un l'a abattu dans les jours qui ont suivis sa sortie.

- J'ai été exclu du Toman le lendemain de sa mort, poursuit Chifuyu en fixant à présent le bout de ses chaussures.

- Exclu ? je répète, effarée. Pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ?

- Je pensais pouvoir faire quelque chose. Mikey m'a pris à part après une réunion. Ça faisait déjà un moment que le gang prenait un mauvais tournant, mais j'étais décidé à rester. Sauf qu'il a vu les choses sous un autre angle...

Il pousse un soupir.

- J'ai remué ciel et terre pour y retourner, mais ils avaient tous disparus. Plus personne ne répondait à mes appels et le lieu habituel des rassemblements est resté désert, depuis. Et je sais que tu n'as gardé contact avec personne d'autre que moi après que Mikey et toi ayez mit un terme à votre relation, donc on se retrouve tous les deux.

- Seuls au monde, alors.

Nous fixons un long moment la fumée qui se dégage des baguettes d'encens, plantées devant la pierre tombale. La présence de Chifuyu a changé l'atmosphère. Le cimetière, vide et silencieux avant son arrivée, était chargé de la tristesse qu'inspire la mort. Maintenant qu'il est là, tout me paraît plus léger.

- Je veux essayer d'ouvrir une animalerie, annonce-t-il. En attendant de retrouver leur trace, j'ai décidé de suivre la voie que Baji et moi voulions prendre. C'est pour ça que je suis venu te voir, Isuzu. Comme j'ai toujours pu compter sur toi, je me demandais...

Il marque une pause.

- ... Ça te dit qu'on bosse ensemble ?

Tout content, Chifuyu me tend une main. Surprise d'abord, je finis par la prendre et il m'aide à me relever. 

- Bosser dans l'animalerie ? Avec toi ?

- Je t'avoue que j'aurais bien besoin d'une employée.

Baji. Mikey. Kazutora. Au fil des années, les pertes se sont accumulées jusqu'à ce que je ne fasse plus qu'un avec la solitude.

Mais à présent, Chifuyu Matsuno se tient juste devant moi et m'offre sur un plateau la compagnie qui me manque cruellement depuis 3 ans. Mon cœur se remplit alors de gratitude, et cela faisait si longtemps que je n'avais pas ressenti quelque chose d'aussi agréable...

- J'accepte, dis-je en souriant. Je travaillerai avec toi.

- J'ai eu peur que tu dises non, répond-il en soupirant de soulagement.

- On est amis depuis 6 ans, Chifuyu. Comment je pourrais refuser ça ?

Ravi, les lèvres de Chifuyu s'étirent jusqu'à ses oreilles. Sans le savoir, il est devenu ma première et mon unique raison de sourire depuis des mois.

Au fer rouge (Mikey Manille x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant