Fatiguée, j'ouvre la porte de mon appartement en bâillant à m'en décrocher la mâchoire. Je sais qu'un long débriefing m'attend demain avec Chifuyu, mais pour le moment je n'ai plus que 3 désirs ; prendre une douche, manger et dormir.
Et pourquoi pas m'allumer une clope avant tout ça...
Tout en me préparant déjà une cigarette, j'appuie sur l'interrupteur du salon. La lumière révèle alors une femme à moitié étendue sur ma table à manger et je sursaute si brusquement que cela l'éveille. Elle se redresse avec des gestes très lents, mous, comme si chaque mouvement lui demandait de livrer une force incommensurable.
- Maman ?! je m'effare en la reconnaissant.
- Kazutora, c'est toi...
Sa voix est frêle. Le désespoir semble s'échapper de chacune des rides de son visage, rendu encore plus vieux par les cheveux poivre et sel qui l'encadrent. Je m'avance doucement avant de prendre place face à elle.
Sa présence ne me dit rien qui vaille. Je lui avais donné le double de mes clés en lui ordonnant de venir en cas de problème, chose qu'elle n'a fait qu'une fois auparavant.
Depuis le décès de Kazutora, je l'ai vue sombrer toujours plus profond, et ce n'est qu'après avoir enfin accepté d'être suivie psychologiquement qu'elle a commencé à remonter la pente. Lentement mais sûrement. Alors pourquoi semble-t-elle avoir touché le fond pour de bon, ce soir ?
- Non, moi c'est Isuzu, dis-je.
- Oh, Isuzu, ma chérie...
Ses yeux vides se chargent alors de remords. Elle tend une main tremblante vers ma joue.
- Quand tu verras ton frère... Est-ce que tu pourras lui dire...
- Maman, est-ce que tu te rappelles pourquoi tu es venue ici ? je demande d'une voix que je veux bienveillante.
- Je suis désolée...
Elle ramène ses mains vers elle avant d'enfouir son visage dedans. Ses épaules sont secouées par ses sanglots silencieux.
Cette vision me brise le cœur mais je tente de rester calme. Jamais ma mère n'avait perdu les pieds à ce point là.
- Où est ton frère ? questionne-t-elle entre deux hoquets.
- Il est... Il est chez lui, je mens, sentant qu'il ne vaut mieux pas que je lui rappelle la cruelle vérité.
- Ah...? Chez lui, c'est vrai ? Il habite tout seul, maintenant ?
Elle se tait soudain. Toute tremblotante, elle éloigne ses mains de ses yeux et fixe ses paumes humides de larmes.
- Isuzu, pourquoi tu me mens ?
Sa détresse laisse petit à petit la place à la colère.
- Maman, calme toi... Essaie de te rappeler pourquoi tu es venue me voir... Je veux t'aider, crois moi...
- Tu mens !
Elle se met à agiter son index menaçant sous mon nez, de la même manière qu'on le ferait à un enfant pour le gronder. Soudain redevenue petite fille, une boule se forme dans ma gorge et je contiens tant bien que mal mon envie de pleurer à mon tour.
C'est encore pire que je ne le pensais. Depuis quand va-t-elle aussi mal ?
- Tu mens ! répète-t-elle. Comme ton père ! Lui aussi, c'était un menteur ! Il disait qu'il voulait notre bien avant de nous...
Un temps.
- Emmène moi voir ton frère. Si tu me dis la vérité, tu peux m'y conduire.
- Bien sûr, dis-je.
Pensant qu'elle n'est plus en état de marcher correctement, j'essaie de la prendre par la taille pour la soutenir mais elle se dégage vivement. Déterminée, elle me dépasse pour sortir la première de chez moi.
Je ne sais pas encore très bien ce que je compte faire par la suite. Si je n'agis pas très vite, l'état de ma mère risque de s'empirer encore plus, si c'est possible.
Mon père l'a violentée pendant des années entières, la rendant déjà fragile. Après son divorce, on aurait pu croire que les choses se seraient arrangées ; mais elle était rongée par un terrible remord qui l'empêchait de s'en remettre. Dans les moments où elle broyait du noir plus qu'à l'accoutumée, elle répétait mille excuses à Kazutora. Comme si ce n'était pas assez difficile de la voir comme ça, quelqu'un a assassiné son fils et cela a signé sa perte.
Ne jamais avoir eu l'occasion de lui demander pardon de vive voix l'a probablement plus tuée que les coups de son ex-mari.
Ma mère ne dit pas un mot lorsque je démarre ma voiture, et la route se fait dans un silence mortel. Ayant finalement décidé que c'était la meilleure chose à faire, je me gare sur le parking de l'hôpital le plus proche.
- Il est ici ?
Sans répondre, je détache sa ceinture mais elle ne bouge pas d'un millimètre.
- Tu m'emmènes encore chez les fous, c'est ça ? demande-t-elle d'une voix plaintive.
- Arrête, maman. Tu sais que je fais ça pour ton bien.
- Si tu le dis, fait-elle, peu convaincue.
Elle me suit cependant dans l'enceinte de l'hôpital sans protester. Elle qui était si abattue quand je suis arrivée chez moi, je suis étonnée de voir qu'elle peut se montrer encore aussi mécontente...
- Bonsoir, me salue gentiment l'hôtesse d'accueil pendant que ma mère s'assoit dans la salle d'attente. Que puis-je faire pour vous ?
- Je viens pour ma mère. Elle... Elle ne va pas très bien.
L'infirmière oriente son regard vers ma mère, figée sur sa chaise et le regard perdu dans le vide.
- J'étais venue l'année dernière pour les mêmes raisons, dis-je.
- Quel est son nom ?
- Hanemiya.
- Hanemiya..., répète-t-elle en parcourant le registre des patients. Ah, la voilà ! Vous avez bien vérifié qu'elle prenait tous les jours les médicaments qu'on lui a prescrit ?
- Je passe la voir régulièrement, elle m'a toujours assuré les prendre et son état s'était stabilisé...
- Hmm... Elle aura peut-être besoin de retourner dans la maison de repos psychologique où elle avait logé quelques temps l'année dernière. Ne bougez pas, je vais chercher le médecin qui l'a suivie. Vous avez de la chance qu'il soit de garde ce soir.
Elle m'adresse un sourire réconfortant avant de disparaître derrière une porte. Quelques instants plus tard, elle ressort accompagnée d'un homme à l'allure chaleureuse, portant la blouse blanche traditionnelle des médecins. Il s'avance vers ma mère d'une démarche assurée.
- Madame Hanemiya, est-ce que vous vous souvenez de moi ?
Elle se contente de hocher la tête. Jamais elle ne m'a parue aussi épuisée.
- Vous voulez bien me suivre ? lui demande le médecin d'une voix calme.
Comprenant que tout cela se déroule pour son bien, ma mère se relève en conservant le silence. Je les regarde s'éloigner en direction de l'ascenseur tandis que l'infirmière me rejoint.
- Si vous voulez bien nous suivre, dit-elle, on va avoir besoin de vous.
Je lui obéis sans répondre. Ma clope va devoir m'attendre encore un moment...
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Au fer rouge (Mikey Manille x OC)
Fanfiction« Isuzu. Il faut qu'on arrête de se voir. » Voilà 10 ans que Manjirô Sano a prononcé ces mots avant de disparaître. Malgré de multiples recherches, je n'ai jamais réussi à retrouver sa trace, et cela fait maintenant longtemps que j'ai abandonné l'id...