8 : Stupéfix !

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Il est 2 heures passées quand je quitte enfin l'hôpital d'un pas traînant. Mon ventre crie famine et ma tête me lance affreusement, mais je ne veux pas rentrer chez moi. Le silence qui y règne me rappellera chacun des événements de cette soirée, et je ne veux qu'une chose : ne plus y penser.

Si la nuit n'était pas aussi avancée, je serais allée chez Chifuyu ; mais ce dernier doit certainement dormir depuis un moment. Résignée, je passe devant ma voiture sans y entrer et sors du parking.

Je déambule sans but précis, n'ayant pas d'autre désir que de fuir ces dernières heures. Bien qu'il soit déjà tard, les rues sont loin d'être désertes ; de nombreux fêtards se promènent aussi, bouteille d'alcool à la main, et braillant quelques chansons en riant. Voir cette animation me fait du bien et j'esquisse un vague sourire.

Je finis par longer le fleuve Tama, entouré d'étendues d'herbe verte parsemées de quelques fleurs. Tout en m'allumant la cigarette dont j'ai rêvé pendant tout ce temps, je quitte le trottoir et pars m'assoir au bord de l'eau.

- Eh la miss aux cheveux lisses, t'as pas un 06 ?!

Un homme que j'ai croisé quelques minutes plus tôt se laisse tomber à côté de moi aussi lourdement que l'aurait fait un hippopotame. Il empeste l'alcool à plein nez.

J'ai un ricanement. Il a l'air sacrément torché avec ses cheveux bruns en pagaille et sa cravate à moitié défaite.

- T'as parié à tes potes que tu repartirais avec mon numéro, c'est ça ? dis-je en inspirant une taffe.

- Et merde, grommelle-t-il, rageur.

- Ouais. Merde, comme tu dis.

N'ayant pas le courage de le dégager ni de m'en aller, je me contente d'achever ma cigarette en silence. Il me fixe avec une indiscrétion peu commune mais je ne suis capable que de l'ignorer. Quelques mètres plus loin, j'entends son groupe d'amis éclater de rire à plusieurs reprises.

- Et sinon tu t'es pas fait mal ? reprend-il en souriant de toutes ses dents.

- Hein ?

- Quand t'es tombée du paradis.

Il se met à rigoler à sa propre blague mais il est coupé par le rugissement d'une moto. Oubliant soudainement le soûlard, je me retourne vivement, le cœur battant furieusement contre ma cage thoracique. Ce son, il n'y a qu'une seule personne qui puisse le produire.

- Mikey, je souffle pour moi-même.

- Mouse ?

Sans répondre, je me lève et abandonne l'inconnu au bord du fleuve. Je remonte rapidement la petite pente et rejoins le trottoir, où quelques passants se tordent le cou pour apercevoir le responsable du bruit.

Mikey passe alors en trombe devant tout le monde, nous laissant muets. Qu'il soit seul ou accompagné du Toman comme il le faisait à l'époque, il produit toujours le même effet de stupéfaction.

En regardant sa silhouette disparaître, l'image furtive de l'adolescent qu'il était apparaît sous mes yeux. Ses cheveux blonds battus par le vent, sa veste de gang volant derrière lui comme une cape, ainsi que sa fierté qui éclairait le chemin aux autres membres du Toman comme une flamme... Depuis tout ce temps, je n'avais fait qu'enterrer ce souvenir ; mais ce soir il est plus clair qu'il ne l'a jamais été. C'est ironique de voir à quel point cela m'avait manqué sans que je ne m'en rende compte.

Et cette fois plus que toutes les précédentes, je suis prête à tout pour ramener le Mikey que je viens d'apercevoir en mirage.

S'il le faut, j'y laisserai tout ce que j'ai de plus cher au monde...

° •. ✮ . • °

- Stupéfix !

Alors que je ferme la porte de l'animalerie derrière moi, Chifuyu se lève en brandissant un bâton. Je reste immobile devant l'entrée, partagée entre le rire et l'incompréhension.

- Je t'ai jeté un sort, dit-il d'un ton fier.

- Je meurs, je renchéris en portant une main à mon cœur.

Pour parfaire mon jeu d'actrice, je me tiens au rayon le plus proche, feignant d'être au bord de l'évanouissement. Satisfait, il abaisse sa baguette et me sourit. Son visage se voile cependant d'inquiétude lorsque je m'approche de lui.

- Ça s'est si mal passé que ça avec Mikey pour que t'aies une mine aussi affreuse ?

- Si seulement il n'y avait que ça, dis-je en me laissant tomber sur mon tabouret.

- On devrait pas avoir trop de clients ce matin, tu vas pouvoir tout me détailler. Et je veux tout savoir.

Chifuyu part retourner la petite pancarte de la porte sur Open avant de revenir s'accouder au comptoir, toujours sa baguette entre les mains.

Réconfortée par sa présence, je lui explique toute la soirée de la veille sans omettre le moindre détail, comme promis. Aux moments opportuns, il fronce ou hausse les sourcils, s'indigne ou s'étonne en émettant une petite exclamation. Il est attentif à chacune de mes paroles et constater cela provoque une indescriptible sensation de chaleur dans ma poitrine.

Un homme entre dans l'animalerie au moment où j'achève mon récit. Tandis que celui-ci demande de l'aide, Peke-J saute agilement sur mes genoux et Chifuyu regrette presque d'abandonner son chat pour rejoindre notre premier client de la journée.

- Votre chat a l'air de bien manger, commente ce dernier lorsqu'il passe en caisse.

- Vous sous-entendez qu'il est gros ? se vexe Chifuyu, oubliant toute politesse.

- Mais non ! s'esclaffe l'homme. Je me disais qu'il paraissait en pleine forme.

Mon ami saisit aussitôt le double sens de cette dernière phrase et hausse les sourcils si haut qu'ils en disparaissent sous ses cheveux noirs. Il s'apprêtait à répliquer mais je me dépêche de prendre la parole avant lui ;

- Bonne journée Monsieur !

- À vous aussi jeunes gens !

Son visage rondouillard se fend d'un sourire et il quitte l'animalerie sous le regard noir de Chifuyu.

- Qu'est-ce que tu disais, déjà ? demande-t-il avec mauvaise humeur.

- Que j'avais vu Mikey passer en moto dans la rue.

Je fais de mon mieux pour ne pas rire face à sa moue toujours indignée qu'il peine à faire disparaître.

- Ah oui, c'était ça... Du coup je voulais te proposer quelque chose. Surtout avec ce qu'il s'est passé avec ta mère, c'est hors de question que t'essaies de ramener Mikey toute seule. Je veux qu'on se relaie tous les soirs au Tokyo Comedy Bar, ou à la station de métro à laquelle il était descendu.

- Pas bête ! j'acquiesce.

- Il faut qu'on le suive à la trace, poursuit Chifuyu, concentré. On l'a déjà retrouvé, maintenant on a plus qu'à le convaincre...

Convaincre Mikey de revenir parmi nous. Une idée qui me paraissait inatteignable il y a de ça quelques semaines, mais si proche à présent...

Nous ne savons pas ce qu'il a fait durant ces 10 dernières années. Bien évidemment, nous supposons qu'il est toujours à la tête du Toman, même si le voir faire cavalier seul sème quelques doutes sur ce fait.

Quoiqu'il en soit, le plan sommaire de Chifuyu sera mis en place dès ce soir. Si Mikey pense s'être débarrassé de nous, il est bien loin du compte...

Au fer rouge (Mikey Manille x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant