21 : Aller à Manille

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- T'es réveillée ?

- J'arrivais pas à me rendormir.

Bâillant et s'étirant, Mikey me rejoint sur le bord de la fenêtre. Je tire la dernière taffe de ma cigarette avant de l'observer plus en détail ; avec ses cheveux décoiffés et sa mine toujours ensommeillée, il a plus les allures d'un enfant qu'un adulte de 27 ans.

Tout en se frottant les yeux avec le revers de la main, Mikey se tourne vers mon salon. Son regard s'attarde sur sa veste de costard et sa cravate abandonnées sur le sol ; ultimes traces du mouvement de ces dernières heures.

- Dis, Suzy...

Il se tourne vers moi.

- ... Et si on s'en allait ?

- S'en aller ? je répète. Tu veux aller où ?

- J'avais pensé à Manille.

Une brise glaciale, typique d'un mois de Novembre, s'engouffre par la fenêtre entrouverte. J'aperçois la peau des bras de Mikey devenir chair de poule mais il fait mine de rien.

- Plus de boulot, plus de Toman, plus de responsabilités... On serait libres, là-bas.

- Juste nous deux ? j'interroge.

- On a rien à perdre ici, répond-il en haussant les épaules, presque las.

Son regard quitte le mien pour contempler l'horizon ; l'aube commence tout juste à naître, et le ciel à présent dégagé de ses nuages promet déjà une belle journée.

À bien des égards, la proposition de Mikey peut sembler tentante. Il y a quelques années, j'aurais moi-même sauté sur l'occasion. Fuir à l'étranger avec lui ? Quelle question, comment refuser une chose pareille !

Telles auraient été mes pensées si les choses n'avaient pas changées.

- Qu'est-ce que t'en dis ? insiste-t-il.

- Je ne sais pas... Tout quitter du jour au lendemain comme ça, c'est...

- J'ai suffisamment d'argent, me coupe-t-il.

- Je ne parlais pas d'argent. Mais il y a encore Chifuyu ici, je ne peux pas l'abandonner.

Mikey m'observe fermer la fenêtre avec soin, silencieux. Son visage étant redevenu impassible, je ne peux pas savoir à quoi il pense. Nous restons longtemps appuyés contre le mur, regardant le soleil se lever doucement sur Tokyo.

Il passe alors une main dans mes cheveux avant d'enrouler une mèche autour de son doigt. Il la tourne lentement, l'air distrait. Je hausse les sourcils mais ne dis rien ; ce contact est loin d'être désagréable.

- Je t'ai toujours vue jouer avec tes cheveux, se justifie-t-il. Je voulais savoir ce que ça faisait.

- Alors ? je souris.

- Ils sont doux.

Mikey réitère son geste plusieurs fois tandis que quelques rayons viennent réchauffer nos visages. J'inspire longuement, détendue ; assister à un lever de soleil automnal en sa compagnie, voilà une chose que je n'espérais plus. Je me sens si loin du reste du monde. Nous sommes de nouveau entrés dans la bulle intime qui nous a protégés tant de fois lorsque nous étions adolescents.

Il n'a pas l'air de m'en vouloir d'avoir momentanément refusé son expédition à Manille. Son regard continue d'alterner entre moi et le ciel. Mikey dégage une certaine quiétude inhabituelle ; son aura paraît plus douce. Presque apaisée.

- La vie est vraiment merdique sans toi.

Surprise de cette sincérité soudaine, je le dévisage d'un œil interrogateur.

Au fer rouge (Mikey Manille x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant